METHODOLOGIE



LIRE...
1.1 Un livre est un être vivant qui vit de la vie que nous-mêmes lui insufflons.
1.2 Lire est manger le texte: l’ « assimiler » en absorbant sa vie pendant que nous lui insufflons le nôtre

2 ...POUR ECRIRE
2.1 Lire et « commenter » : semer la graine d’un fragment de texte dans la terre de notre esprit, pour que de cette rencontre pousse la plante entière de notre texte à nous.

LIRE...

Pour apprendre la Philosophie, nous lisons et nous écrivons.

Il est bien vrai que la philosophie naît incontournablement du dialogue vivant entre des hommes en chair et os, mais il est vrai aussi que toute terre est en friche avant d’être rendue vraiment féconde… et la parole directement parlée est à la Philosophie ce que la cueillette est à l’agriculture. En d’autres mots, pour philosopher vraiment il faut se cultiver: semer la graine de la parole écrite dans la terre de notre esprit préalablement rendue docile par le silence et l’envie d’apprendre, et la laisser germer et pousser grâce l’eau de nos sentiments, l’air de nos pensées, la lumière de notre entendement…

C’est pour cette raison – car une pensée qui ne sait pas se faire écriture n’en est pas vraiment une – que le programme nous demande de savoir lire et rédiger des textes philosophiques : le Commentaire de Texte et la Dissertation. Nous verrons que du point de vue de la forme il s’agit en réalité d’un seul et même type de travail : la Dissertation n’étant finalement qu’un « commentaire » à ce micro-texte qu’est le « sujet » proposé, ainsi qu’inversement le Commentaire de Texte n’est qu’une dissertation sur le « sujet » dont il est question dans le texte qui nous est soumis, et qui sera réalisée en compagnie de son auteur.

Dans les deux cas il s’agit donc de transformer une pratique de lecture en une œuvre d’écriture, et cette opération est celle qui fait passer quelque chose de la puissance à l’acte: le texte lu étant le porteur potentiel – la graine – de cette petite plante qu'est les texte écrit que nous sommes censés savoir en faire pousser.

Voyons mieux

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1.1 Un livre est un être vivant qui vit vraiment de la vie que nous-mêmes lui insufflons.

La philosophie est comme un arbre dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales : à savoir la médecine, la mécanique et la morale ; j'entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse.[Descartes, Principes de la philosophie CDP, 207]


Tout texte est, en tant que tel, une forme de vie, jaillissant directement de ce que Husserl appelait die Lebenswelt : le Monde [Welt] de la Vie [Leben], où nous vivons tous immergés en permanence, en nous en nourrissant instant par instant, ne serait-ce qu’en ce que nous respirons, mangeons, buvons… C’est donc du sein d’un même monde vivant – que nous «assimilons» sans cesse – que surgissent non seulement les fleuves, les nuages, les arbres, les animaux, les hommes… mais aussi les livres, et particulièrement cette espèce vivante toute spéciale et parfaitement reconnaissable grâce à sa forme unique, que sont les livres de philosophie. Bref, un «livre de philosophie» est à appréhender, tout d’abord et essentiellement, comme une totalité formée et achevée, incontournablement vivante. Et cela en deux sens.

(1) D’un côté un livre est le fruit du travail d’un esprit bien vivant – les morts n’écrivent pas des livres – qui nous permet de la sorte d’entrer dans son monde, ou dans le Monde, tel qu’on le voit avec ses yeux. C’est donc pour nous permettre un certain type de voyage (le voyage philosophique) dans le Monde de la Vie avec les yeux d’un autre, que l’esprit des hommes a enfanté cette forme de vie – cet arbre tout particulier – qu’est le «livre de philosophie».


(2) De même nous ne pouvons pas regarder un film au cinéma (et assimiler donc ses contenus) sans que le projecteur soit mis en mouvement, de même nous ne pouvons pas assimiler les contenus d’un livre – sa sève, sa substance – sans faire tourner le « projecteur » de notre esprit en en parcourant, ligne après ligne, mot après mot, les « photogrammes » successifs. Ou, avec une autre analogie, un livre de philosophie est comme une partition musicale qui ne « prend vie » que lorsqu’un musicien – un «interprète» vivant et incarné – l’ «exécute», en le mettant en mouvement selon son « interprétation ». Et bien, « lire » aussi n’est, de toute évidence, qu’interpréter ce qui est écrit… c'est-à-dire lui insuffler notre vie d’«interprètes» : celle même qui circule dans notre âme de lecteurs. En un mot, cet être vivant qu’est un livre de philosophie ne «prend vie» effectivement et actuellement que si nous ne lui insufflons directement la nôtre.

1.2 Lire est manger le texte: l’ « assimiler » en absorbant sa vie pendant que nous lui insufflons le nôtre

Il n’y a donc rien d’étonnant dans le fait que lire soit une activité nourrissante. En effet, lorsqu’il est question d’un « fruit » jailli non pas d’un autre esprit mais d’un autre corps – comme celui d’un pommier – s’en « nourrir » signifie à la fois assimiler ses substances, et leur insuffler notre vie, en les faisant devenir… nous-mêmes. Une fois détachée de son arbre, une pomme a les heures comptées : soit elle meurt définitivement, car elle a été séparée de ses racines, soit elle acquiert notre vie, car nous l’ « assimilons » (= nous la rendons semblable) à notre corps. Mâcher, donc, avaler, digérer… bref «manger» n’est qu’un seul et même geste d’ «assimilation» – comme Piaget l’appelle – : une mise en mouvement de notre être, grâce à laquelle (1) nous absorbons la force et la vie de ce dont nous nous nourrissons (2) nous insufflons notre force et notre vie à cette même nourriture qui est en train de nous insuffler la sienne. La même chose se passe, de toute évidence, lorsque votre esprit commence à lire n’importe quel texte. Ce n’est que lorsque vous mettez en mouvement votre puissance d’interprétation que votre esprit commence à se nourrir de ce que vous lisez – à l’«assimiler» effectivement – … et dans la mesure où vous l’assimilez grâce à votre interprétation, dans cette mesure le texte lui-même prendra d’autant plus de vie et de force, en vous conduisant toujours plus en profondeurs dans les recoins, de plus en plus nourrissants, du monde que son créateur a voulu vous dévoiler.

2 …POUR ECRIRE

2.1 Lire et « commenter » : semer la graine d’un fragment de texte dans la terre de notre esprit,
pour que de cette rencontre pousse la plante entière de notre texte à nous.

Cette double prise de conscience – qu’un livre est un être vivant qui vit de la vie que nous même lui insufflons en l’interprétant, et qu’en ce faisant nous le mangeons, en absorbant à notre tour sa vie à lui – a des énormes conséquences sur la façon dont il faut concevoir et donc vivre l’approche aux textes que nous devons apprendre à « commenter ».

Il s’agira en effet de placer notre esprit en face non pas d’un livre entier – l’arbre en sa Grande Totalité, que vous n’êtes mêmes pas censés connaître – mais d’un seul petit morceau de 15-20 lignes qui en aura été extrait. Le résultat de cette mise en face devra être… un autre texte – cette fois-ci une petite totalité – que vous-mêmes aurez fait pousser à partir de ce premier fragment. Une nouvelle petite totalité qui devra avoir une certaine forme : celle-là et pas une autre, commune tant au «commentaire» qu’à la «dissertation».

Sur cette base, comment vivre la confrontation avec un texte qu’il s’agira de « commenter » ? Voilà comment : le fragment de texte à avaler est la graine, votre esprit qui l’avale est la terre, et le «commentaire» est la plante que vous obtiendrez grâce à l’eau, l’air et la lumière de vos pensées. Expliquons-nous.

Nous savons en effet maintenant que lire un texte signifie que votre esprit lui «insuffle la vie », le met en mouvement grâce à l’interprétation que vous en donnez ; et qu’un livre de philosophie – la Grande Totalité d’où provient n’importe quel fragment à « commenter » – est une certaine espèce de livre, un certain « arbre » ayant sa forme à lui, toujours la même, malgré les apparences. Or si cette Forme Unique propre à toute œuvre philosophique vous ne la connaissez pas encore, on vous demande pourtant de vous-même en produire un petit exemplaire : la « petite totalité » de votre texte à vous ; et cela, grâce à rien que la simple interaction – bien vivante – entre votre esprit et le petit bout de texte que vous lui donnerez à manger. Ce fragment de texte à commenter n’est donc pas tout à fait une partie morte de son arbre de provenance – telle une branche ou un feuille desséché – ni même un simple fruit à manger avant qu’il ne pourrisse. Il est au contraire l’une des semences que cet arbre a laissées partir pour qu’elles puissent féconder la terre qui les accueillera : une terre qui n’est rien d’autre que votre esprit où, en le lisant/interprétant, vous semez cet ensemble de paroles, pour les arroser et les nourrir avec l’eau, l’air, la lumière de vos pensées.

En synthèse, « avaler » un tel fragment de texte en lui insufflant votre vie pendant qu’à votre tour vous vous nourrissez de la sienne, équivaut à vous en faire ensemencer, de façon à ce qu’à l’issue d’un certain travail de jardinage savamment conduit, vous obteniez la plante complète et achevée – aussi petite qu’elle soit – de votre texte à vous : votre commentaire/dissertation qui aura nécessairement la même forme que tout autre arbre philosophique, car c’est bien la graine de ce genre de plante, et pas d’une autre, que vous aurez introduite dans la terre de votre âme.