Psautier de Louis IX. Le rêve de Jacob

AUTRUI

(160) = ((108B)) - "Il me semblait que j’étais moi-même ce dont parlait l’ouvrage"


(161) = (62[3]) - "Il faut que je prenne soigneusement garde de ne prendre pas imprudemment quelque autre chose pour moi"


(162) = ( Rep.VII §1.1) - "Et si la paroi du fond de la prison avait un écho?..."


(163) Odyssée - Le prétendant grondés par l'un de leurs


(164) Bible - Le Dieu de l'étranger – « Et il dit à Abraham : Sache bien que ta postérité sera étrangère dans un pays qui ne sera pas à eux ; ils y seront en servitude et on les opprimera pendant quatre cents ans. [Genèse 15,13] Tu ne feras pas de tort à l’étranger et tu ne l’opprimeras pas, car vous avez été des étrangers dans le pays d’Egypte. [Exode 22,21] L’Eternel votre Dieu est le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, fort et redoutable, qui ne fait point acception de personnes et qui n’accepte point de présent,qui fait droit à l’orphelin et à la veuve et qui aime l’étranger, lui donnant pain et vêtement. [Deutéronome 10,17]


(165) Platon : la connaissance, l'amitié, et le visage l'Autre (De la Guerre à la Dialectique) - Théétète

[A] EUCLIDE - Comme je descendais vers le port, j'ai rencontré Théétète, que l'on rapportait du camp devant Corinthe à Athènes. - TERPSION - Vivant ou mort? - [142b] - Vivant, mais à grand'peine. Il souffre beaucoup de plusieurs blessures ; mais ce qui le tourmente le plus, c'est la maladie qui s'est répandue dans l'armée - La dysenterie? - Oui. - T. Quel homme tu m'apprends que nous sommes menacés de perdre ! Oui, Terpsion, un bien excellent homme ! Tout à l'heure encore j'entendais faire le plus bel éloge de sa conduite le jour de la bataille. - Je n'en suis point surpris, et il y aurait plutôt [142c] de quoi s'étonner qu'il ne se fût pas montré comme il l'a fait. Mais pourquoi ne s'est-il pas arrêté ici, à Mégare? - Il lui tardait d'arriver chez lui. Je l'ai bien prié de rester; mais il n'a pas voulu : je l'ai donc accompagné, et, en m'en revenant, je me rappelai avec admiration la vérité des prophéties de Socrate sur bien des choses, et particulièrement sur le compte de Théétète. C'était, je crois, peu de temps avant sa mort qu'il connut Théétète, jeune encore et dans la fleur de l'âge, et que, s'étant entretenu avec lui, il fut charmé de son heureux naturel. Plus tard, comme j'étais à Athènes, Socrate me raconta la conversation, [142d] très remarquable, en vérité, qu'ils eurent ensemble, et il ajouta qu'infailliblement ce jeune homme se distinguerait un jour, s'il arrivait à l'âge mûr [...]

[B] Théodore: Théétète, viens ici auprès de Socrate. SOCRATE. Oui, approche-toi, Théétète, que je me regarde une fois, et voie comment est fait mon visage; car Théodore [144e] dit qu'il ressemble au tien. Si cependant l'un et l'autre nous avions une lyre, et qu'il prétendît qu'elles fussent parfaitement d'accord ensemble, l'en croirions-nous d'abord, avant d'avoir examiné s'il est musicien ? THÉÉTÈTE. Nous ferions d'abord cet examen. SOCRATE. Et venant à découvrir qu'il est musicien, nous aurions foi à ses paroles; autrement nous n'y croirions point, s'il ne connaissait pas la musique. THÉÉTÈTE. Sans doute. SOCRATE. Eh bien donc, il me semble que si nous voulons nous assurer de la ressemblance de nos visages, [145a] il nous faut voir si Théodore est peintre et en état d'en juger. 42 THÉÉTÈTE. C'est aussi mon avis. SOCRATE. Eh bien! je te le demande, Théodore est-il peintre ? THÉÉTÈTE. Non, que je sache. SOCRATE. Et il n'est pas non plus géomètre? THÉÉTÈTE. Si fait, il l'est sans aucun doute, Socrate! SOCRATE. Est-il aussi astronome, mathématicien, musicien, et tout ce qui se rattache à ces sciences ? THÉÉTÈTE. Je le présume. SOCRATE. En ce cas, s'il prétend trouver en nous quelque ressemblance du côté du corps, en bien ou en mal, il ne faut pas donner grande attention à ses paroles. THÉÉTÈTE. Peut-être non. [145b] SOCRATE. Mais quoi ! s'il venait à louer l'un de nous pour la vertu et la sagesse, ne conviendrait-il pas que chacun prît soin d'examiner celui sur qui tomberait l'éloge, et que celui-ci à son tour s'empressât de découvrir volontairement le fond de son âme? THÉÉTÈTE. Assurément. SOCRATE. Ce sera donc à toi, mon cher Théétète, de te montrer à découvert, et à moi de t'examiner - THÉÉTÈTE. Il faut bien m'y soumettre, [...]

[C] SOCRATE. Eh bien, dis-moi, n'apprends-tu pas auprès de lui la géométrie ? THÉÉTÈTE. Oui. [145d] SOCRATE. Et aussi l'astronomie, l'harmonie, les mathématiques ? THÉÉTÈTE. Je m'y applique, du moins. SOCRATE. Et moi de même, jeune homme, j'apprends de Théodore et de tous ceux que je crois habiles en ces matières. Mais, quoique je sois déjà assez avancé sur tous les points, il me reste pourtant quelque doute sur une chose peu importante dont je voudrais m'éclaircir avec toi et avec ceux qui sont ici présents. Réponds-moi donc : apprendre, n'est-ce pas devenir plus savant sur ce que l'on apprend? THÉÉTÈTE. Se peut-il autrement? SOCRATE. Et les savants, c'est, je pense, par le savoir qu'ils deviennent tels ? THÉÉTÈTE. Oui. [145e] SOCRATE. Mais est-ce autre chose que la science? THÉÉTÈTE. Quoi? SOCRATE. Le savoir. Ne sait-on pas les choses dont on a la science? THÉÉTÈTE. Le moyen du contraire? SOCRATE. Le savoir et la science sont donc une même chose THÉÉTÈTE. Oui. SOCRATE. C'est sur quoi il me reste des doutes, et je ne puis me suffire à moi-même pour approfondir ce que c'est que la science. [146a] Y aurait-il moyen de l'expliquer? Qui de vous veut commencer? Mais celui qui se trompera, et à son tour chacun de ceux qui se tromperont, sera l'âne, comme disent les enfants au jeu de balles. Celui qui résoudra la question, sans se tromper, sera notre roi, et pourra nous proposer les questions qu'il voudra (07). Mais pourquoi gardez-vous le silence ? deviendrais-je incommode, Théodore, par le plaisir que je prends à causer, et en cherchant à engager une conversation qui nous lie, et nous devenions des amis ?


(166) Héraclite - La Guerre "naturelle" comme proto-dialectique(CDP T2, 73)


(167) Hobbes - La Guerre "naturelle" non dialectique(CDP T1, 171)


(168) Freud - L'"hostilité primaire" non dialectique(CDP T1, 171)


(169) Hegel(CDP T25, 343) La Guerre "naturelle" comme pré-dialectique


(170) Hegel(CDP T12, 333) La Guerre des conscience pour la vie et la mort


(171) Hegel(CDP T9, 331) "Je suis ce combat"


(172) Hegel (CDP T11, 332) La Dialectique des consciences de soi


(173) Merleau-Ponty (CDP T6, 547) Ne pas rester assis sur ses différences naturelles



(174) Aristote - l'Auto-connaissance, l'Amitié et le Visage de l'Autre -

Apprendre à se connaître est très difficile [...] et un très grand plaisir en même temps (quel plaisir de se connaître!); mais nous ne pouvons pas nous contempler nous-mêmes à partir de nous-mêmes: ce qui le prouve, ce sont les reproches que nous adressons à d'autres, sans nous rendre compte que nous commettons les mêmes erreurs, aveuglés que nous sommes, pour beaucoup d'entre nous, par l'indulgence et la passion qui nous empêchent de juger correctement. Par conséquent, à la façon dont nous regardons dans un miroir quand nous voulons voir notre visage, quand nous voulons apprendre à nous connaître, c'est en tournant nos regards vers notre ami que nous pourrions nous découvrir, puisqu'un ami est un autre soi-même. Concluons: la connaissance de soi est un plaisir qui n'est pas possible sans la présence de quelqu'un d'autre qui soit notre ami; l'homme qui se suffit à soi-même aurait donc besoin d'amitié pour apprendre à se connaître soi-même" [Aristote]



(175) Levinas - La Transcendance, le meurtre et le Visage de l'Autre

(a) Le visage se refuse à la possession, à mes pouvoirs. Dans son épiphanie, dans l'expression, le sensible, encore saisissable, se mue en résistance totale à la prise. Cette mutation ne se peut que par l'ouverture d'une dimension nouvelle. En effet, la résistance à la prise ne se produit pas comme résistance insurmontable, comme dureté du rocher contre lequel l'effort de la main se brise, comme éloignement d'une étoile dans l'immensité de l'espace. L'expression que le visage introduit dans le monde ne défie pas la faiblesse de mes pouvoirs, mais mon pouvoir de pouvoir.
(b) Le visage, encore chose parmi les choses, perce la forme qui cependant le délimite. Ce qui veut dire concrètement: le visage me parle et par là m'invite à une relation sans commune mesure avec un pouvoir qui s'exerce, fût-il jouissance ou connaissance. Et cependant cette nouvelle dimension s'ouvre dans l'apparence sensible du visage. L'ouverture permanente des contours de sa forme dans l'expression emprisonne dans une caricature cette ouverture qui fait éclater la forme.
(c) Le visage à la limite de la sainteté et de la caricature s'offre donc encore dans un sens à des pouvoirs. Dans un sens seulement : la profondeur qui s'ouvre dans cette sensibilité modifie la nature même du pouvoir qui ne peut dès lors plus prendre, mais peut tuer. (...).
(d) Autrui qui peut souverainement me dire non, s’offre à la pointe de l'épée ou à la balle du révolver et toute la dureté inébranlable de son "pour soi" avec ce non intransigeant qu'il oppose, s'efface du fait que l'épée ou la balle a touché les ventricules ou les oreillettes de son cœur. Dans la contexture du monde il n'est quasi-rien: Mais il peut m'opposer une lutte, c'est-à-dire opposer à la force qui le frappe non pas une force de résistance, mais l'imprévisibilité même de sa réaction. Il m'oppose ainsi non pas une force plus grande - une énergie évaluable et se présentant par conséquent comme si elle faisait partie d'un tout - mais la transcendance même de son être par rapport à ce tout ; non pas un superlatif quelconque de puissance, mais précisément l'infini de sa transcendance. Cet infini, plus fort que le meurtre, nous résiste déjà dans son visage, est son visage, est l'expression originelle, est le premier mot : "tu ne commettras pas de meurtre".
(e) L'infini paralyse le pouvoir par sa résistance infinie au meurtre, qui, dure et insurmontable, luit dans le visage d'autrui, dans la nudité totale de ses yeux, sans défense, dans la nudité de l'ouverture absolue du Transcendant. Il y a là une relation non pas avec une résistance très grande, mais avec quelque chose d'absolument AUTRE : la résistance de ce qui n'a pas de résistance - la résistance éthique. [Totalité et Infini]



(176) PASCAL L'Autre est le "Néant de notre être" (CDP Pascal T5, 121 intégré)

«XXIV - Vanité de l’homme - Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous, et en notre propre être: nous voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire ; et nous nous efforçons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment à embellir et conserver cet être imaginaire, et négligeons le véritable. Et si nous avons ou la tranquillité, ou la générosité, ou la fidélité, nous nous empressons de le faire savoir, afin d’attacher ces vertus à cet être d’imagination : nous les détacherions plutôt de nous pour les y joindre ; et nous serions volontiers poltrons, pour acquérir la réputation d’être vaillants. Grande marque du néant de notre propre être, de n’être pas satisfait de l’un sans l’autre, et de renoncer souvent à l’un pour l’autre ! Car qui ne mourrait pour conserver son honneur, celui-là serait infâme. […] - La vanité est si ancrée dans le cœur de l’homme, qu’un goujat, un marmiton, un crocheteur se vante, et veut avoir ses admirateurs. Et les Philosophes mêmes en veulent. Ceux qui écrivent contre la gloire, veulent avoir la gloire d’avoir bien écrit ; et ceux qui le lisent, veulent avoir la gloire de l’avoir lu ; et moi qui écris ceci, j’ai peut-être cette envie ; et peut être que ceux qui le liront l’auront aussi. […] La curiosité n’est que vanité. Le plus souvent on ne veut savoir que pour en parler. On ne voyagerait pas sur la mer pour le seul plaisir de voir, sans espérance de s’en entretenir jamais avec personne. […] Peu de chose nous console, parce que peu de chose nous afflige.

Nous ne nous tenons jamais au présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent, et comme pour le hâter ; ou nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompt. Si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont pas à nous, et ne pensons point au seul qui nous appartient : et si vains, que nous songeons à ceux qui ne sont point, et laissons échapper sans réflexion le seul qui subsiste. C’est que le présent d’ordinaire nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu’il nous afflige ; et s’il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver. Que chacun examine sa pensée. Il la trouvera toujours occupée au passé et à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre des lumières, pour disposer l’avenir. Le présent n’est jamais notre but. Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre objet. Ainsi nous ne vivons jamais ; mais nous espérons de vivre ; et nous disposant toujours à être heureux, il est indubitable que nous ne le serons jamais, si nous n’aspirons à une autre béatitude qu’à celle dont on peut jouir en cette vie. Notre imagination nous grossit si fort le temps présent à force d’y faire des réflexions continuelles, et amoindrit tellement l’éternité manque d’y faire réflexion, que nous faisons de l’éternité un néant, et du néant une éternité. Et tout cela a ses racines si vives en nous, que toute notre raison ne nous en peut défendre»[Pascal, Pensées XXIV]


(177)Sartre...


(178) Levi-Strauss Le rejet de d’autrui comme « sauvage » (CDP Levy Strauss T2, 551)


(179) Levi-Strauss : «Répudier purement et simplement les formes culturelles»

L'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles: morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. «Habitudes de sauvages», «cela n'est pas de chez nous», «on ne devrait pas admettre cela», etc.; autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manière de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l'Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l'inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain; et sauvage, qui veut dire «de la forêt», évoque aussi un genre de vie animale, par opposition à la culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d'admettre le fait même de la diversité culturelle; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit.

Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux qu'on choisit de considérer comme tels) hors de l'humanité est justement l'attitude la plus marquante et la plus distinctive de ces sauvages mêmes. On sait, en effet, que la notion d'humanité, englobant, sans distinction de race ou de civilisation, toutes les formes de l'espèce humaine, est d'apparition fort tardive et d'expansion limitée. Là-même où elle semble avoir atteint son plus haut développement, il n'est nullement certain - l'histoire récente le prouve - qu'elle soit établie à l'abri des équivoques ou des régressions. Mais, pour de vastes fractions de l'espèce humaine et pendant des dizaines de millénaires, cette notion paraît être totalement absente. L'humanité s'arrête aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village; à tel point qu'un grand nombre de populations dites primitives se désignent d'un nom qui signifie les «hommes» (ou parfois - dirons-nous avec plus de discrétion - les «bons», les «excellents», les «complets»), impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus - ou même de la nature - humaines, mais sont tout au plus composés de «mauvais», de « méchants », de «singes de terre» ou «d'œufs de pou». On va souvent jusqu'à priver l'étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un «fantôme» ou une «apparition» [Race et histoire]


(180) Sofocle : « Toi seul es ton propre ennemi »

ŒDIPE. Ô Teirésias, qui comprends toutes choses, permises ou défendues, ouraniennes et terrestres, bien que tu ne voies pas, tu sais cependant de quel mal cette ville est accablée, et nous n’avons trouvé que toi, ô roi, pour protecteur et pour sauveur. Phoibos, en effet, si tu ne l’as appris déjà de ceux-ci, nous a répondu par nos envoyés que l’unique façon de nous délivrer de cette contagion était de donner la mort aux meurtriers découverts de Laios, ou de les chasser en exil. Ne nous refuse donc ni les augures par les oiseaux, ni les autres divinations ; délivre la ville et toi-même et moi ; efface cette souillure due au meurtre de l’homme qu’on a tué. Notre salut dépend de toi. Il n’est pas de tâche plus illustre pour un homme que de mettre sa science et son pouvoir au service des autres hommes. TEIR. Hélas ! hélas ! qu’il est dur de savoir, quand savoir est inutile ! Ceci m’était bien connu, et je l’ai oublié, car je ne serais point venu ici. ŒD. Qu’est-ce ? Tu sembles plein de tristesse. TEIR. Renvoie-moi dans ma demeure. Si tu m’obéis, ce sera, certes, au mieux pour toi et pour moi. ŒD. Ce que tu dis n’est ni juste en soi, ni bon pour cette ville qui t’a nourri, si tu refuses de révéler ce que tu sais. TEIR. Je sais que tu parles contre toi-même, et je crains le même danger pour moi. ŒD. Je t’adjure par les dieux ! ne cache pas ce que tu sais. Tous, tant que nous sommes, nous nous prosternons en te suppliant. TEIR. Vous délirez tous ! Mais je ne ferai pas mon malheur, en même temps que le tien ! ŒD. Que dis-tu ? Sachant tout, tu ne parleras pas ? Mais tu as donc dessein de nous trahir et de perdre la ville ? TEIR. Je n’accablerai de douleur ni moi, ni toi. Pourquoi m’interroges-tu en vain ? Tu n’apprendras rien de moi. ŒD. Rien ! ô le pire des mauvais, tu ne diras rien ! Certes, tu mettrais la fureur dans un cœur de pierre. Ainsi tu resteras inflexible et intraitable ? TEIR. Tu me reproches la colère que j’excite, et tu ignores celle que tu dois exciter chez les autres. Et cependant tu me blâmes ! ŒD. Qui ne s’irriterait, en effet, en entendant de telles paroles par lesquelles tu méprises cette ville ? TEIR. Les choses s’accompliront d’elles-mêmes, quoique je les taise. ŒD. Puisque ces choses futures s’accompliront, tu peux me les dire. TEIR. Je ne dirai rien de plus. Laisse-toi entraîner comme il te plaira, à la plus violente des colères. ŒD. Certes, enflammé de fureur comme je le suis, je ne tairai rien de ce que je soupçonne. Sache donc que tu me sembles avoir pris part au meurtre, que tu l’as même commis, bien que tu n’aies pas tué de ta main. Si tu n’étais pas aveugle, je t’accuserais seul de ce crime. TEIR. En vérité ? Et moi je t’ordonne d’obéir au décret que tu as rendu, et, dès ce jour, de ne plus parler à aucun de ces hommes, ni à moi, car tu es l’impie qui souille cette terre. ŒD. Oses-tu parler avec cette impudence, et penses-tu, par hasard, sortir de là impuni ? TEIR. J’en suis sorti, car j’ai en moi la force de la vérité. ŒD. Qui t’en a instruit ? Ce n’est point ta science. TEIR. C’est toi, toi qui m’as contraint de parler. ŒD. Qu’est-ce ? Dis encore, afin que je comprenne mieux. TEIR. N’as-tu pas compris déjà ? Me tentes-tu, afin que j’en dise davantage ? ŒD. Je ne comprends pas assez ce que tu as dit. Répète. TEIR. Je dis que ce meurtrier que tu cherches, c’est toi ! ŒD. Tu ne m’auras pas impunément outragé deux fois ! TEIR. Parlerai-je encore, afin de t’irriter plus encore ? ŒD. Autant que tu le voudras, car ce sera en vain. TEIR. Je dis que tu t’es uni très-honteusement, sans le savoir, à ceux qui te sont le plus chers et que tu ne vois pas en quels maux tu es ! ŒD. Penses-tu toujours parler impunément ? TEIR. Certes ! S’il est quelque force dans la vérité. ŒD. Elle en a sans doute, mais non par toi. Elle n’en a aucune par toi, aveugle des oreilles, de l’esprit et des yeux ! TEIR. Malheureux que tu es ! Tu m’outrages par les paroles mêmes dont chacun de ceux-ci t’outragera bientôt ! ŒD. Perdu dans une nuit éternelle, tu ne peux blesser ni moi, ni aucun de ceux qui voient la lumière. TEIR. Ta destinée n’est point de succomber par moi. Apollôn y suffira. C’est lui que ce soin regarde. ŒD. Ceci est-il inventé par toi ou par Kréôn ? TEIR. Kréôn n’est point cause de ton mal. Toi seul es ton propre ennemi. ŒD. Ô richesse, ô puissance, ô gloire d’une vie illustre par la science et par tant de travaux, combien vous excitez d’envie ! puisque, pour cette même puissance que la ville a remise en mes mains sans que je l’aie demandée, Kréôn, cet ami fidèle dès l’origine, ourdit secrètement des ruses contre moi et s’efforce de me renverser, ayant séduit ce menteur, cet artisan de fraudes, cet imposteur qui ne voit que le gain, et n’est aveugle que dans sa science ! Allons ! dis-moi, où t’es-tu montré un sûr divinateur ? Pourquoi, quand elle était là, la chienne aux paroles obscures, n’as-tu pas trouvé quelque moyen de sauver les citoyens ? Était-ce au premier homme venu d’expliquer l’énigme, plutôt qu’aux divinateurs ? Tu n’as rien fait ni par les augures des oiseaux, ni par une révélation des dieux. Et moi, Œd, qui arrivais ne sachant rien, je fis taire la Sphinx par la force de mon esprit et sans l’aide des oiseaux augurals. Et c’est là l’homme que tu tentes de renverser, espérant t’asseoir auprès de Kréôn sur le même trône ! Mais je pense qu’il vous en arrivera malheur à toi et à celui qui a ourdi le dessein de me chasser de la ville comme une souillure. Si je ne croyais que la vieillesse t’a rendu insensé, tu saurais bientôt ce que coûtent de tels desseins. LE CHŒUR. Autant que nous en jugions, ses paroles et les tiennes, Œd, nous semblent pleines d’une chaude colère. Il ne faut point s’en occuper, mais rechercher comment nous accomplirons pour le mieux l’oracle du dieu. TEIR. Si tu possèdes la puissance royale, il m’appartient cependant de te répondre en égal. J’ai ce droit en effet. Je ne te suis nullement soumis, mais à Loxias ; et je ne serai jamais inscrit comme client de Kréôn. Puisque tu m’as reproché d’être aveugle, je te dis que tu ne vois point de tes yeux au milieu de quels maux tu es plongé, ni avec qui tu habites, ni dans quelles demeures. Connais-tu ceux dont tu es né ? Tu ne sais pas que tu es l’ennemi des tiens, de ceux qui sont sous la terre et de ceux qui sont sur la terre. Les horribles exécrations maternelles et paternelles, s’abattant à la fois sur toi, te chasseront un jour de cette ville. Maintenant tu vois, mais alors tu seras aveugle. Où ne gémiras-tu pas ? Quel endroit du Kithairôn ne retentira-t-il pas de tes lamentations, quand tu connaîtras tes noces accomplies et dans quel port fatal tu as été poussé après une navigation heureuse ? Tu ne vois pas ces misères sans nombre qui te feront l’égal de toi-même et de tes enfants. Maintenant, accable-nous d’outrages, Kréôn et moi, car aucun des mortels ne succombera plus que toi sous de plus cruelles misères. ŒD. Qui pourrait endurer de telles paroles ? Va-t’en, abominable ! hâte-toi ! sors de ces demeures, et sans retour ! TEIR. Certes, je ne serais point venu, si tu ne m’avais appelé. ŒD. Je ne savais pas que tu parlerais en insensé ; car, le sachant, je ne t’eusse point pressé de venir dans ma demeure. TEIR. Je te semble insensé, mais ceux qui t’ont engendré me tenaient pour sage. ŒD. Qui sont-ils ? Arrête ! Qui, parmi les mortels m’a engendré ? TEIR. Ce même jour te fera naître et te fera mourir. ŒD. Toutes tes paroles sont obscures et incompréhensibles. TEIR. N’excelles-tu pas à comprendre de telles obscurités ? ŒD. Tu me reproches ce qui me fera grand. TEIR. C’est cela même qui t’a perdu. ŒD. J’ai délivré cette ville et je ne le regrette pas. TEIR. Je m’en vais donc. Toi, enfant, emmène-moi. ŒD. Certes, qu’il t’emmène, car, étant présent, tu me troubles et tu m’empêches ! Loin d’ici, tu ne me pèseras plus. TEIR. Je m’en irai, mais je dirai d’abord pourquoi je suis venu ici sans peur de ton visage, car tu es impuissant à me perdre jamais. Cet homme que tu cherches, le menaçant de tes décrets à cause du meurtre de Laios, il est ici. On le dit étranger, mais il sera bientôt reconnu pour un thèbaien indigène, et il ne s’en réjouira pas. De voyant il deviendra aveugle, de riche pauvre, et il partira pour une terre étrangère. Il sera en face de tous le frère de son propre enfant, le fils et l’époux de celle de qui il est né, celui qui partagera le lit paternel et qui aura tué son père. Entre dans ta demeure, songe à ces choses, et si tu me prends à mentir, dis alors que je suis un mauvais divinateur » Oedipe Roi - Premier épisode]


(181) Platon: la Metempsychose comme choix de la vie d'un Autre

«Considérons cela: si dans le Hadès vivent en effet les âmes des morts. Une ancienne tradition, qui me revient en mémoire, veut que les âmes existent là-bas, où elles sont venues d’ici, et qu’elles reviennent ici et naissent des morts. Et s’il en est ainsi, si les vivants renaissent des morts, il faut en conclure que nos âmes sont là-bas ; car elles ne sauraient renaître, si elles n’existaient pas, et leur existence nous sera suffisamment prouvée, si nous voyons clairement que les vivants ne naissent que des morts. Si cela n’est pas, il nous faudra chercher une autre preuve. Parfaitement, dit Cébès.Maintenant, reprit Socrate, ne borne pas ton enquête aux hommes, si tu veux découvrir plus aisément la vérité; étends-la à tous les minéraux, aux animaux et aux plantes, bref à tout ce qui a naissance et voyons, en considérant tout cela, s’il est vrai qu’aucune chose ne saurait naître que de son contraire, quand elle a un contraire...[Platon, Phédon, 70cd]

Voici ce que dit la vierge Lachésis, fille de la Nécessité : Ames passagères, vous 287 allez recommencer une nouvelle carrière et renaître à la condition mortelle. [617e] Vous ne devez point échoir en partage à un génie : vous choisirez vous-même chacune le vôtre. Celle que le sort appellera, choisira la première, et son choix sera irrévocable. La vertu n’a point de maître : elle s’attache à qui l’honore, et abandonne qui la néglige. On est responsable de son choix : Dieu est innocent. A ces mots, il avait répandu les sorts (14), et chaque âme ramassa celui qui tomba devant elle, excepté notre Arménien, à qui on ne le permit pas. Chacune connut alors quel rang lui était échu pour choisir. [618a] Ensuite l’hiérophante étala sur terre devant elles des genres de vie de toute espèce, en beaucoup plus grand nombre qu’il n’y avait d’âmes assemblées ; la variété en était infinie ; il s’y trouvait à la fois toutes les conditions des animaux ainsi que des hommes. Il y avait des tyrannies, les unes qui duraient jusqu’à la mort ; les autres brusquement interrompues et finissant par la pauvreté, l’exil, la mendicité. On y voyait des conditions d’hommes célèbres, ceux-ci pour leurs avantages corporels, la beauté, la force, [618b] l’aptitude aux combats ; ceux-là pour leur noblesse et les grandes qualités de leurs an- 288 cêtres ; on en voyait aussi d’obscures par tous ces endroits. Il y avait pareillement des conditions de femmes de la même variété. Quant à l’âme, les rangs n’étaient pas réglés, chaque âme changeant nécessairement suivant son choix [Platon Republique, X]


(182) Sartre : Cogito, ergo l'Autre est - "Par le je pense, contrairement à la philosophie de Descartes, contrairement à la philosophie de Kant, nous nous atteignons nous-mêmes en face de l'autre, et l'autre est aussi certain pour nous que nous-mêmes. Ainsi l'homme qui s'atteint directement par le cogito découvre aussi tous les autres, et il les découvre comme la condition de son existence. Il se rend compte qu'il ne peut rien être (au sens où on dit qu'on est spirituel, ou qu'on est méchant, ou qu'on est jaloux) sauf si les autres le reconnaissent comme tel. Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l'autre. L'autre est indispensable a mon existence, aussi bien d'ailleurs qu'à ma connaissance que j'ai de moi. Dans ces conditions, la découverte de mon intimité me découvre en même temps l'autre, comme une liberté posée en face de moi, qui ne pense, et qui ne veut, que pour ou contre moi. Ainsi découvrons-nous tout de suite un monde que nous appelons 'intersubjectivité, et c'est dans ce monde que l'homme décide ce qu'il est et ce que sont les autres.[Sartre L'existentiaIisme est un humanisme?]











9.LE DESIR

Empédocle - L'Amour est le force qui tient uni le Cosmos «Je vais t'annoncer un double discours. A un moment donné, l'Un se forma du Multiple ; en un autre moment, il se divisa et de l'Un sortit le Multiple. Il y a une double naissance des choses périssables et une double destruction. La réunion de toutes choses amène une génération à l'existence et la détruit ; l'autre croît et se dissipe quand les choses se séparent. Et ces choses ne cessent de changer continuellement de place, se réunissant toutes en une à un moment donné par l'effet de l'Amour, et portées à un autre moment en des directions diverses par la répulsion de la Haine. Ainsi, pour autant qu'il est dans leur nature de passer du Plusieurs à l'Un, et de devenir une fois encore Plusieurs quand l'Un est morcelé, elles entrent à l'existence, et leur vie ne dure pas. Mais, pour autant qu'elles ne cessent jamais d'échanger leurs places, dans cette mesure, elles sont toujours immobiles quand elles parcourent le cercle de l'existence. [...]

Le conflit de l'Amour et de la Haine est manifeste dans la masse des membres mortels. A un moment donné, tous les membres qui font partie du corps sont réunis par l'Amour au point culminant de la vie florissante ; à un autre moment, séparés pur la Haine cruelle, ils errent chacun pour soi sur les écueils de la mer de la vie. Il en est de même des plantes et des poissons qui ont leur demeure dans les eaux, des bêtes qui ont leurs repaires sur les collines, et des oiseaux de ruer, qui cinglent avec leurs ailes. [...] Considère le soleil, partout clair et chaud, et toutes les choses immortelles qui sont baignées dans la chaleur et dans l'éclat rayonnant. Considère la pluie, partout sombre et froide, et de la terre sortent des choses compactes et solides. Quand elles sont en lutte, elles sont toutes diverses de formes et séparées ; mais elles se réunissent dans l'amour, et se désirent mutuellement » [Fragments II§3]


(...) = T113 Aristote - Le Cosmos entier se meut car il est intérieurement poussé par le désir du "désirable en soi" Le Premier Ciel doit être éternel, et il y a quelque chose qui le meut éternellement: un être qui meut sans être mu, être éternel, essence pure, et actualité pure. Or, voici comment il meut. Le Désirable et l'Intelligible meuvent sans être mus, et le Premier Désirable est identique au Premier Intelligible. Car l'objet du désir, c'est ce qui parait beau, et l'objet premier de la volonté c'est ce qui est beau. Nous désirons une chose parce qu'elle nous semble bonne, plutôt qu'elle ne nous semble telle parce que nous la désirons: le principe, ici, c'est la pensée. Or, la pensée est mise en mouvement par l’intelligible, et l'ordre du désirable est intelligible en soi et pour soi; et dans cet ordre l'essence est au premier rang; et, entre les essences, la première est l'essence simple et actuelle. [...] Ainsi le beau en soi et le désirable en soi rentrent, l'un et l'autre, dans l'ordre de l'intelligible; et ce qui est premier est toujours excellent.[1072a] Or, la véritable cause finale réside dans les êtres immobiles, [...], et l'être immobile meut comme objet d'amour.


(...) Aristote - Le propre de l'animal est le désir - Les plantes n'ont que la nutrition; d'autres êtres (414b) ont à la fois la nutrition et la sensibilité. Quand il y a sensibilité, il y a de plus appétit; car l'appétit est désir, passion et volonté. Il est un seul sens que tous les animaux sans exception possèdent, c'est le toucher. Mais l'être qui a sensibilité a aussi peine et plaisir, selon que l'objet est agréable ou pénible; et les êtres qui ont ces qualités ont en outre le désir, car le désir est l'appétit de ce qui fait plaisir[De l'Ame II§3]


(...) = T11 Aristote [CDP T6, 111] - Tous les hommes désirent le Savoir [De l'Ame II§3]


« Je brûlais, dès mon adolescence, de me rassasier de basses voluptés ; et je n’eus pas honte de prodiguer la sève de ma vie à d’innombrables et ténébreuses amours, et ma beauté s’est flétrie, et je n’étais plus que pourriture à vos yeux, alors que je me plaisais à moi-même et désirais plaire aux yeux des hommes.[...] Je souillais donc la source de l’amitié des ordures de la concupiscence ; je couvrais sa sérénité du nuage infernal de la débauche. Hideux et infâme, dans la plénitude de ma vanité, je prétendais encore à l’urbanité élégante. Et je tombai dans l’amour où je désirais être pris, ô mon Dieu, ô ma miséricorde, de quelle amertume votre bonté a assaisonné ce miel ! Je fus aimé, j’en vins aux liens secrets de la jouissance, et, joyeux, je m’enlaçais dans un réseau d’angoisses, pour être bientôt livré aux verges de fer brûlantes de la jalousie, des soupçons, des craintes, des colères et des querelles. 14. Voilà ce que l’on aime dans les amis, ce qu’on aime de tel amour, que la conscience humaine se trouve coupable de ne pas rendre affection pour affection ; elle ne veut de la personne aimée que le témoignage d’une affection partagée. De là le deuil des morts chéris, les ténèbres de la douleur, les douces jouissances changées en amertume dans le cœur plein de larmes, et la perte de la vie en ceux qui meurent devenant la mort des vivants. Heureux qui vous aime, et son ami en vous, et son ennemi pour vous ! Celui-là seul ne perd aucun être cher, à qui tous sont chers en celui qui ne se perd jamais. Et quel est-il, sinon notre Dieu, Dieu qui a fait le ciel et la terre, qui les remplit, et en les remplissant les a faits ? Et personne ne vous perd que celui qui vous quitte. Et celui qui vous quitte, où va-t-il, où se réfugie-t-il, sinon de vous en vous, de votre amour dans votre colère ? Où pourrat- il ne pas trouver votre loi dans sa peine ? car votre loi est la vérité, et la vérité, c’est vous » [Confessions]



(200) Descartes Je désire la connaissance donc Dieu existe


(I) - Descartes (CDP T2, 181) Le philosophe est dans la plupart des cas un homme dévoré par un désir insensé

Les Mortels sont possédés d'une curiosité si aveugle que souvent ils engagent leur esprit dans des voies inconnues, sans aucun espoir raisonnable, uniquement pour courir le risque d'y rencontrer ce qu'ils cherchent. Il en est d'eux comme d'un homme qui brûlerait d'un désir si stupide de trouver un trésor qu'il serait sans cesse à errer sur les places publiques pour chercher si par hasard il n'en trouverait pas quelqu'un de perdu par un voyageur. C'est ainsi qu'étudient presque tous les Chimistes, la plupart des Géomètres et un grand nombre de Philosophes. Certes, je ne nie pas qu'ils n'aient parfois assez de chance dans leurs errements pour trouver quelque vérité ; néanmoins, je ne leur accorde pas pour cela d'être plus habiles, mais seulement d'être plus heureux. Or, il vaut beaucoup mieux ne jamais penser à chercher la vérité d'aucune chose plutôt que de le faire sans méthode : il est tout à fait certain, en effet, que les études de cette sorte faites sans ordre et les méditations confuses obscurcissent la lumière naturelle et aveuglent les esprits. Quiconque s'accoutume à marcher ainsi dans les ténèbres s'affaiblit tellement l'acuité du regard que dans la suite il ne peut supporter le grand jour. C'est même un fait d'expérience : nous voyons le plus souvent ceux qui ne se sont jamais consacrés aux lettres juger de ce qui se présente à eux avec beaucoup plus de solidité et de clarté que ceux qui ont toujours fréquenté les écoles. Quant à la méthode, j'entends par là des règles certaines et faciles dont l'exacte observation fera que n'importe qui ne prendra jamais rien de faux pour vrai, et que, sans dépenser inutilement aucun effort d'intelligence, il parviendra, par un accroissement graduel et continu de science, à la véritable connaissance de tout ce qu'il sera capable de connaître.[Règles pour la direction de l'esprit 1628]


(II) - (Descartes CDP,T1, 181) «Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée; car chacun pense en être si bien pourvu que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent: mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien.[...] -

J'ai été nourri aux lettres dès mon enfance; et, pour ce qu'on me persuadait que par leur moyen on pouvait acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie, j'avais un extrême désir de les apprendre. Mais sitôt que j'eus achevé tout ce cours d'études, au bout duquel on a coutume d'être reçu au rang des doctes, je changeai entièrement d'opinion. Car je me trouvais embarrassé de tant de doutes et d'erreurs, qu'il me semblait n'avoir fait autre profit, en tâchant de m'instruire, sinon que j'avais découvert de plus en plus mon ignorance. [...] Je ne laissais pas toutefois d'estimer les exercices auxquels on s'occupe dans les écoles. Je savais que les langues qu'on y apprend sont nécessaires pour l'intelligence des livres anciens; que la gentillesse des fables réveille l'esprit... [...] (cf. T33) [Néanmoins] sitôt que l'âge me permit de sortir de la sujétion de mes précepteurs, je quittai [131] entièrement l'étude des lettres; et me résolvant de ne chercher plus d'autre science que celle qui se pourrait trouver en moi-même, ou bien dans le grand livre du monde [...] Et j'avais toujours un extrême désir d'apprendre à distinguer le vrai d'avec le faux, pour voir clair en mes actions, et marcher avec assurance en cette vie. [...]


(III) - (CDP T 30, 205) - Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l'ordre du monde, et généralement de m'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu'après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible. Et ceci seul me semblait être suffisant pour m'empêcher de rien désirer à l'avenir que je n'acquisse, et ainsi pour me rendre content; car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que les choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possibles, il est certain que si nous considérons tous les biens qui sont hors de nous comme également éloignés de notre pouvoir, nous n'aurons pas plus de regret de manquer de ceux qui semblent être dus à notre naissance, lorsque nous en serons privés sans notre faute, que nous avons de ne posséder pas les royaumes de la Chine ou de Mexique; et que faisant, comme on dit, de nécessité vertu, nous ne désirerons pas davantage d'être sains étant malades, ou d'être libres étant en prison, que nous faisons maintenant d'avoir des corps d'une matière aussi peu corruptible que les diamants, ou des ailes pour voler comme les oiseaux. Mais j'avoue qu'il est besoin d'un long exercice, et d'une méditation souvent réitérée, pour [151] s'accoutumer à regarder de ce biais toutes les choses; et je crois que c'est principalement en ceci que consistait le secret de ces philosophes qui ont pu autrefois se soustraire de l'empire de la fortune, et, malgré les douleurs et la pauvreté, disputer de la félicité avec leurs dieux. Car, s'occupant sans cesse à considérer les bornes qui leur étaient prescrites par la nature, ils se persuadaient si parfaitement que rien n'était en leur pouvoir que leurs pensées, que cela seul était suffisant pour les empêcher d'avoir aucune affection pour d'autres choses; et ils disposaient d'elles si absolument qu'ils avaient en cela quelque raison de s'estimer plus riches et plus puissants et plus libres et plus heureux qu'aucun des autres hommes, qui, n'ayant point cette philosophie, tant favorisés de la nature et de la fortune qu'ils puissent être, ne disposent jamais ainsi de tout ce qu'ils veulent »


(IV) - (A) "Mais qu'est-ce donc que je suis ? Une chose qui pense. Qu'est-ce qu'une chose qui pense ? C'est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. Certes ce n'est pas peu si toutes ces choses appartiennent à ma nature. Mais pourquoi n'y appartiendraient-elles pas? Ne suis-je pas encore ce même qui doute presque de tout, qui néanmoins entends et conçois certaines choses, qui assure et affirme celles-là seules être véritables, qui nie toutes les autres, qui veux et désire d'en connaître davantage, qui ne veux pas être trompé, qui imagine beaucoup de choses, même quelquefois en dépit que j'en aie, et qui en sens aussi beaucoup, comme par l'entremise des organes du corps ? Y at-il rien de tout cela qui ne soit aussi véritable qu'il est certain que je suis, et que j'existe, quand même je dormirais toujours, et que celui qui m'a donné l'être se servirait de toutes ses forces pour m'abuser? Y at-il aussi aucun de ces attributs qui puisse être distingué de ma pensée, ou qu'on puisse dire être séparé de moi- même?

Car il est de soi si évident que c'est moi qui doute, qui entends, et qui désire, qu'il n'est pas ici besoin de rien ajouter pour l'expliquer. Et j'ai aussi certainement la puissance d'imaginer; car encore qu'il puisse arriver (comme j'ai supposé auparavant) que les choses que j'imagine ne soient pas vraies, néanmoins cette puissance d'imaginer ne laisse pas d'être réellement en moi, et fait partie de ma pensée. Enfin je suis le même qui sens, c'est-à- dire qui reçois et connais les choses comme par les organes des sens, puisqu'en effet je vois la lumière, j'ouïs le bruit, je ressens la chaleur. Mais l'on me dira que ces apparences sont fausses et que je dors. Qu'il soit ainsi; toutefois, à tout le moins il est très certain qu'il me semble que je vois, que j'ouïs, et que ie m'échauffe; et c'est proprement ce qui en moi s'appelle sentir, et cela, pris ainsi précisément, n'est rien autre chose que penser [Deuxième Méditation]

[B] Maintenant, pour ce qui concerne les idées, si on les considère seulement en elles-mêmes, et qu'on ne les rapporte point à quelque autre chose, elles ne peuvent, à proprement parler, être fausses; car soit que j'imagine une chèvre ou une chimère, il n'est pas moins vrai que j'imagine l'une que l'autre. Il ne faut pas craindre aussi qu'il se puisse rencontrer de la fausseté dans les affections ou volontés; car encore que je puisse désirer des choses mauvaises, ou même qui ne furent jamais, toutefois il n'est pas pour cela moins vrai que je les désire.

[C] Et je ne me dois pas imaginer que je ne conçois pas l'infini par une véritable idée, mais seulement par la négation de ce qui est fini, de même que je comprends le repos et les ténèbres par la négation du mouvement et de la lumière: puisque au contraire je vois manifestement qu'il se rencontre plus de réalité dans la substance infinie que dans la substance finie, et partant que j'ai en quelque façon premièrement en moi la notion de l'infini, que du fini, c'est-à-dire de Dieu, que de moi-même. Car comment serait-il possible que je pusse connaître que je doute et que je désire, c'est-à-dire qu'il me manque quelque chose et que je ne suis pas tout parfait, si je n'avais en moi aucune idée d'un être plus parfait que le mien, par la comparaison duquel je connaîtrais les défauts de ma nature ? [Troisième Méditation


(201) Spinoza (CDP T7, 226) L'homme est un animal désirant


(202)Leibniz (CDP T5,248) Le desir est un inquiètude qui suppose un manque


(203) Sartre (CDP T7, 532) Le désir exprime un manque


(200) Freud - (A) l'Art [CDP T13, 437] (B) le Rêve [CDP T7, 432] (C) la Réligion [T12, 432], la Nevrose [CDP T19, 441], la Vie en sa finalité fondamentale [CDP T18, 440]... ne visent qu'à la satisfaction du Désir


(200) Freud: Le désir de savoir comme "pulsion libidinale" - "Le besoin de savoir, chez Freud, ressemblait, de son propre aveu, à un « désir ». Pour utiliser le langage psychanalytique, cette soif de savoir était plus qu'un besoin oral; elle était mue par de fortes pulsions libidinales. Les idées de Darwin, raconte Freud, « exerçaient sur lui un attrait puissant». Quant à cette conférence si souvent citée sur l'essai de Goethe, La Nature, à laquelle il assista alors qu'il était lycéen, et qui, selon son témoignage, le décida à étudier la médecine plutôt que le droit, elle chante les louanges d'une nature dépeinte sous les traits d'une mère bienfaisante et nourricière, qui jamais n'est épuisée et jamais ne se refuse à l'humanité — déité sensuelle et maternelle...

(227) Freud: Le désir au délà du plaisir


[1] Le Principe du plaisir – La théorie psychanalytique admet sans réserves que l'évolution des processus psychiques est régie par le principe du plaisir. Autrement dit, nous croyons, en tant que psychanalystes, qu'elle est déclenchée chaque fois par une tension désagréable ou pénible et qu'elle s'effectue de façon à aboutir à une diminution de cette tension, c'est-à-dire à la substitution d'un état agréable à un état pénible. […] Peu nous importe de savoir si, en établissant le principe du plaisir, nous nous rapprochons de tel ou tel système philosophique déterminé, consacré par l'histoire. C'est en cherchant à décrire et à expliquer les faits de notre observation journalière que nous en arrivons à formuler de pareilles hypothèses spéculatives. Nous ne visons, dans notre travail psychanalytique, ni à la priorité ni à l'originalité et, d'autre part, les raisons qui nous incitent à poser le principe en question sont tellement évidentes qu'il n'est guère possible de ne pas les apercevoir. […]

[2] Le Principe de Réalité – Mais est-il bien exact de parler du rôle prédominant du principe du plaisir dans l'évolution des processus psychiques? S'il en était ainsi, l'énorme majo¬rité de nos processus psychiques devraient être accompagnés de plaisir ou conduire au plaisir, alors que la plupart de nos expériences sont en contra¬dic¬tion flagrante avec cette conclusion. Aussi sommes-nous obligés d'admettre qu'une forte tendance à se conformer au principe du plaisir est inhérente à l'âme, mais que certaines forces et circonstances s'opposent à cette tendance, si bien que le résultat final peut bien n'être pas toujours conforme au principe du plaisir. […] vLe premier obstacle auquel se heurte le principe du plaisir nous est connu depuis longtemps comme un obstacle pour ainsi dire normal et régulier. Nous savons notamment que notre appareil psychique cherche tout naturellement, et en vertu de sa constitution même, à se conformer au principe du plaisir, mais qu'en présence des difficultés ayant leur source dans le monde extérieur, son affirmation pure et simple, et en toutes circonstances, se révèle comme impos¬sible, comme dangereuse même pour la conservation de l'organisme. Sous l'influence de l'instinct de conservation du moi, le principe du plaisir s'efface et cède la place au principe de la réalité qui fait que, sans renoncer au but final que constitue le plaisir, nous consentons à en différer la réalisation, à ne pas profiter de certaines possibilités qui s'offrent à nous de hâter celle-ci, à sup¬porter même, à la faveur du long détour que nous empruntons pour arriver au plaisir, un déplaisir momentané.

[3] Le démon de la «névrose traumatique» – A la suite de graves commotions mécaniques, de catastrophes de chemin de fer et d'autres accidents impliquant un danger pour la vie, on voit survenir un état qui a été décrit depuis longtemps sous le nom de « névrose traumatique ». La guerre terrible qui vient de prendre fin a engendré un grand nombre d'affections de ce genre et a, tout au moins, montré l'inanité des tentatives consistant à rattacher ces affections à des lésions organiques du système nerveux, qui seraient elles-mêmes consécutives à des violences mécaniques […] Jusqu'à ce jour, on n'a pas réussi à se faire une notion bien exacte, tant des névroses de guerre que des névroses traumatiques du temps de paix. Ce qui, dans les névroses de guerre, semblait à la fois éclaircir et embrouiller la situation, c'était le fait que le même tableau morbide pouvait, à l'occasion, se produire en dehors de toute violence mécanique brutale.
[…] Or l'étude du rêve peut être considérée comme le moyen d'exploration le plus sûr des processus psychiques profonds, et il se fait que les rêves des malades atteints de névrose traumatique sont caractérisés par le fait que le sujet se trouve constamment ramené à la situation constituée par l'accident et se réveille chaque fois avec une nouvelle frayeur

[4] On ne s'étonne pas assez de ce fait. On y voit une preuve de l'intensité de l'impression produite par l'accident traumatique, cette impression, dit-on, ayant été tellement forte qu'elle revient au malade même pendant le sommeil. Il y aurait, pour ainsi dire, « fixation psychique » du malade au traumatisme. Or, ces fixations à l'événement traumatique qui a provoqué la maladie nous sont connues depuis longtemps, en ce qui concerne l'hystérie. Breuer et Freud ont formulé dès 1893 cette proposition : « les hys-tériques souffrent principalement de réminiscences ». Et dans les névroses de guerre, des observateurs comme Ferenczi et Simmel ont cru pouvoir expliquer certains symptômes moteurs par la « fixation au traumatisme ». […] En admettant toutefois comme une chose allant de soi que le rêve nocturne les replace dans la situation génératrice de la maladie, on méconnaît par la même la nature du rêve [pour Freud « tour rêve est la satisfaction d’un désir »]. Il serait certes plus conforme à cette nature que les rêves de ces malades se composent de tableaux remontant à l'époque où ils étaient bien portants ou se rattachant à leur espoir de guérison. Si, malgré la qualité des rêves qui accompagnent la névrose traumatique, nous voulons maintenir, comme seule correspondant à la réalité des faits, la conception d'après laquelle la tendance prédominante des rêves serait celle qui a pour objet la réalisation de désirs, il ne nous reste qu'à admettre que dans cet état la fonction du rêve a subi, comme beaucoup d'autres fonctions, une grave perturbation, qu'elle a été détournée de son but; ou bien nous devrions appeler à la rescousse les mystérieuses tendances masochistes […]

[5] Les manifestations de la tendance à la répétition, telles que nous les avons observées au cours des premières activités de la vie psychique infantile et du traitement psychanalytique, présentent au plus haut degré un caractère instinctif et, lorsqu'elles sont en opposition avec le principe du plaisir, un caractère démoniaque.

Pour ce qui est du jeu de l'enfant, nous croyons comprendre que si l'enfant reproduit et répète un événement même désagréable, c'est pour pouvoir, par son activité, maîtriser la forte impression qu'il en a reçue, au lieu de se borner à la subir, en gardant une attitude purement passive. Chaque nou¬velle répétition semble affermir cette maîtrise et, même lorsqu'il s'agit d'événements agréables, l'enfant ne se lasse pas de les répéter et de les repro¬duire, en s'acharnant à obtenir l'identité parfaite de toutes les répétitions et reproductions d'une impression. […] L'enfant ne se lasse pas de demander à l'adulte la répétition d'un jeu qu'il lui avait montré ou auquel il avait pris part avec lui ; et lorsqu'on lui a raconté une belle histoire, il veut toujours l'entendre à nouveau, à l'exclusion de toute autre, il veille à ce qu'elle soit répétée mot par mot, relève la moindre modification que le conteur se permet d'y introduire, dans l'espoir peut-être de se faire bien voir de l'enfant. Il n'y toutefois pas là d'opposition au principe du plaisir, car la répétition, le fait de retrouver l'identité sont déjà en eux-mêmes une source de plaisir.
Au contraire, dans le cas du sujet perturbé soumis à l'analyse , il est évident que la tendance qui le pousse à reproduire les événements traumatiques est, sous tous les rapports, indépendante du principe du plaisir, le transcende pour ainsi dire. […] Cette même tendance à la répétition se dresse souvent devant nous comme un obstacle thérapeutique, lorsque nous voulons, à la fin du traitement, obtenir que le malade se détache complètement du médecin ; et il est à supposer que ce qui fait naître cette tendance démoniaque, c'est la vague angoisse, la crainte qu'éprouvent les gens non familiarisés avec la psychanalyse de voir se réveiller en eux quelque chose qu'à leur avis on ferait mieux de laisser dormir.

[6]Mais quelle est la nature des rapports existant entre les impulsions instinctives et la tendances à la répétition? Il est permis de penser que nous sommes ici sur la trace d'une propriété générale , encore peu connue, ou, tout au moins, n'ayant pas encore été formulée explicitement, des instincts, peut-être même de la vie organique dans son ensemble.

[B] Un instinct ne serait que l'expression d'une tendance inhérente à tout organisme vivant et qui le pousse à reproduire, à rétablir un état antérieur auquel il avait été obligé de renoncer, sous l'influence de forces perturbatrices extérieures ; l'expression d'une sorte d'élasticité organique ou, si l'on préfère, de l'inertie de la vie organique. […] Nous ne pouvons résister à la tentation de pousser jusqu'à ses dernières conséquences l'hypothèse d'après laquelle tous les instincts se manifesteraient par la tendance à reproduire ce qui a déjà existé. On pourra reprocher aux conclusions auxquelles nous aboutirons ainsi d'être trop « profondes », voire quelque peu mystiques : ce reproche ne nous atteindra pas, car nous avons la conscience de ne chercher que des résultats positifs ou de ne nous livrer qu'à des considérations fondées sur de tels résultats, en faisant notre possible pour leur donner le plus grand degré de certitude.

[C] Si donc les instincts organiques sont des facteurs de conservation, historiquement acquis, et s'ils tendent vers la régression, vers la reproduction d'états antérieurs, il ne nous reste qu'à attribuer l'évolution organique comme telle, c'est-à-dire l'évolution progressive, à l'action de facteurs extérieurs, perturbateurs et détournant l'organisme de sa tendance à la stagnation. L'être vivant élémentaire serait très volontiers resté immuable dès le début de son existence , il n'aurait pas mieux demandé que de mener un genre de vie uniforme, dans des conditions invariables. Mais c'est sans doute, en dernière analyse, l'évolution de notre terre et de ses rapports avec le soleil qui a eu sa répercussion sur l'évolution des organismes. Les instincts organiques conservateurs se sont assimilés chacune des modifications de la vie, qui leur ont été ainsi imposées, les ont conservées en vue de la répétition ; et c'est ainsi qu'ils donnent la fausse impression de forces tendant au changement et au progrès, alors qu'en réalité ils ne cherchent qu'à réaliser une fin ancienne en suivant des voies aussi bien nouvelles qu'anciennes.

[D]Cette fin vers laquelle tendrait tout ce qui est organique se laisse d'ailleurs deviner. La vie se mettrait en opposition avec le caractère conservateur des instincts, si la fin qu'elle cherche à atteindre représentait un état qui lui fut totalement étranger. Cette fin doit plutôt être représentée par un état ancien, un état de départ que la vie a jadis abandonné et vers lequel elle tend à retourner par tous les détours de l'évolu¬tion. Si nous admettons, comme un fait expérimental ne souffrant aucune exception, que tout ce qui vit retourne à l'état inorganique, meurt pour des raisons internes, nous pouvons dire : la fin vers laquelle tend toute vie est la mort, et inversement, le non-vivant est antérieur au vivant. […]

Telles sont les seules hypothèses auxquelles on arrive relativement à l'origine et au but de la vie, lorsqu'on attribue aux instincts un caractère purement et uniquement conservateur. […] En postulant l'exis¬tence d'instincts de conservation, que nous attribuons à tout être vivant, nous avons l'air de nous mettre en singulière opposition avec l'hypothèse d'après laquelle toute la vie instinctive tendrait à ramener l'être vivant à la mort. En effet, la signification théorique des instincts de conservation, de puissance, d'affirmation de soi-même disparaît, lorsqu'on la juge à la lumière de l'hypo¬thèse en question ; ce sont des instincts partiels, destinés à assurer à l'orga¬nisme le seul moyen véritable de retourner à la mort et de le mettre à l'abri de toutes les possibilités autres que ses possibilités immanentes d'arriver à cette fin. Quant à la tendance mystérieuse de l'organisme à s'affirmer malgré tout et à l'encontre de tout, elle s'évanouit, comme ne cadrant pas avec une fin plus générale, plus compréhensive. Il reste que l'organisme ne veut mourir qu'à sa manière ; et ces gardiens de la vie que sont les instincts ont été primitivement des satellites de la mort. […]

[E]Principe du plaisir et instincts de mort – Nous disons alors que le principe du plaisir est une tendance au service d'une fonction destinée à rendre l'appareil psychique, en général, inexcitable ou, tout au moins, à y maintenir l'excitation à un niveau constant et aussi bas que possible. […] Cette fonction, ainsi définie, participe donc de la tendance la plus générale de tout ce qui est vivant, de la tendance à se replonger dans le repos du monde inorganique. Nous savons tous par expérience que le plaisir le plus intense auquel nous puissions atteindre, celui que nous procure l'acte sexuel, coïncide avec l'extinction momentanée d'une excitation à haute tension. […] Il semble donc précisément que le principe du plaisir soit au service des instincts de mort.

[7]Beaucoup d'entre nous se résigneront difficilement à renoncer à la croyance qu'il existe, inhérente à l'homme même, une tendance à la perfection à laquelle il serait redevable du niveau actuel de ses facultés intellectuelles et de sa sublimation morale et dont on serait en droit d'attendre la transformation progressive de l'homme actuel en un surhomme. Je dois avouer que je ne crois pas à l'existence d'une pareille tendance interne à la perfection et que je ne vois aucune raison de ménager cette illusion bienfaisante. A mon avis, l'évolution de l’homme, telle qu'elle s'est effectuée jusqu'à présent, ne requiert pas d'autre explication que celle des animaux, et s'il existe une minorité d'êtres humains qu'une tendance irrésistible semble pousser vers des niveaux de perfection de plus en plus élevés, ce fait s'explique tout naturellement, en tant que conséquence de cette répression d'instincts sur laquelle repose ce qu'il y a de plus sérieux dans la culture humaine. […]

Nombreuses sont les questions qui se rattachent à ce sujet et auxquelles il est encore impossible de répondre. Il convient d'être patient et d'attendre qu'on soit en possession de nouveaux moyens de recherche, de nouvelles occasions d'études. Mais il faut aussi être prêt à abandonner une voie qu'on a suivie pendant quelque temps, dès qu'on s'aperçoit qu'elle ne peut conduire à rien de bon. Seuls les croyants qui demandent à la science de leur remplacer le catéchisme auquel ils ont renoncé , verront d'un mauvais oeil qu'un savant poursuive et développe ou même qu'il modifie ses idées. C'est à un poète que nous nous adressons pour trouver une consolation de la lenteur avec laquelle s'accomplissent les progrès de notre connaissance scientifique : « Ce à quoi on ne peut atteindre en volant, il y faut y atteindre en boitant... Il est dit dans l'Écriture que boiter n'est pas un péché ». [Freud, Au délà du Principe de Plaisir, 1920]



(206) Platon: Eros rend sauvages et donne des ailes
«En effet nous avons dit que toute âme humaine doit avoir contemplé les essences, puisque sans cette condition aucune âme ne peut passer [250a] dans le corps d'un homme. Mais il n'est pas également facile à toutes de s'en ressouvenir, surtout si elles ne les ont vues que rapidement, si, précipitées sur la terre, elles ont eu le malheur d'être entraînées vers l'injustice par des sociétés funestes, et d'oublier ainsi les choses sacrées qu'elles avaient vues. Quelques-unes seulement conservent des souvenirs assez distincts; celles-ci, lorsqu'elles aperçoivent quelque image des choses d'en haut, sont transportées hors d'elles-mêmes et ne peuvent plus se contenir, mais elles ignorent la cause de leur émotion, [250b] parce qu'elles ne remarquent pas assez bien ce qui se passe en elles. La justice, la sagesse, tout ce qui a du prix pour des âmes, a perdu son éclat dans les images que nous en voyons ici - bas ; embarrassés nous-mêmes par des organes grossiers, c'est avec peine que quelques-uns d'entre nous peuvent, en s'approchant de ces images, reconnaître le modèle qu'elles représentent. La beauté était toute brillante alors que, mêlées aux chœurs des bienheureux, nos âmes, à la suite de Jupiter, comme les autres à la suite des autres dieux, contemplaient le plus beau spectacle, initiées à des mystères qu'il est permis [250c] d'appeler les plus saints de tous, et que nous célébrions véritablement quand, jouissant encore de toutes nos perfections et ignorant les maux de l'avenir, nous admirions ces beaux objets parfaits, simples, pleins de béatitude et de calme, qui se déroulaient à nos yeux au sein de la plus pure lumière, non moins purs nous-mêmes, et libres encore de ce tombeau qu'on appelle le corps, et que nous traînons avec nous comme l'huître traîne la prison qui l'enveloppe. Que l'on pardonne ces longueurs au souvenir et au regret d'un bonheur qui n'est plus.

Je reviens à la beauté. Elle brillait alors, comme nous le disions, [250d] parmi toutes es autres essences. Tombés en ce monde, nous l'avons reconnue plus distinctement que toutes les autres par l'intermédiaire du plus lumineux de nos sens. La vue est en effet le plus subtil des organes du corps; cependant elle n'aperçoit pas la sagesse, car nous sentirions naître en nous pour elle d'incroyables amours, si son image ou les images des autres objets vraiment aimables pouvaient se présenter à nos yeux aussi distinctement que celle de la beauté. Seule la beauté a reçu en partage d'être à la fois la chose la plus manifeste [250e] comme la plus aimable. L'homme qui n'a pas la mémoire fraîche de ces saints mystères ou qui l'a perdue entièrement, ne se reporte pas facilement vers l'essence de la beauté par la contemplation de son image terrestre. Au lieu de la regarder avec respect, entraîné par d'impurs désirs il cherche à l'assaillir, comme une bête sauvage; et, dans ses infâmes approches, il ne craint pas, [251a] il ne rougit pas de poursuivre un plaisir contre nature.

Mais le nouvel initié, celui qui est encore tout plein des nombreuses merveilles qu'il a vues, en présence d'un visage presque céleste ou d'un corps dont les formes lui rappellent l'essence de la beauté, frémit d'abord; quelque chose de ses anciennes émotions lui revient ; puis il contemple cet objet aimable et le révère à l'égal d'un dieu; et s'il ne craignait de voir traiter son enthousiasme de folie, if sacrifierait à son bien-aimé comme à l'image d'un dieu, comme à un dieu même

L'aperçoit-il? semblable à l'homme que saisit la fièvre, il change tout-à-coup, [251b] il se couvre de sueur, un feu ardent l'échauffé et le pénètre : car, au moment qu'il reçoit par les yeux l'émanation de la beauté, il doit ressentir la douce chaleur dont les ailes de l'âme se nourrissent: cette chaleur fond l'enveloppe dont la dureté empêchait jusque là les germes des ailes d'éclore et de pousser. Alors l'affluence de cet aliment divin fait gonfler la tige des ailes, qui s'efforcent de percer pour se répandre dans l'âme tout entière. Car autrefois l'âme était tout ailée; [251c] maintenant elle est dans le plus grand travail, elle s'agite avec violence, et ressemble à l'enfant dont les gencives sont agacées par les efforts que font les premières dents pour percer. En effet, ses ailes commençant à naître, lui font éprouver une chaleur, un agacement, un chatouillement du même genre. Lorsqu'elle contemple la beauté du jeune homme, elle recueille les parcelles qui s'en détachent et en émanent, et qui ont fait nommer le désir amoureux; elle s'en abreuve, s'embrase, et ne connaît plus d'autre sentiment [251d] que celui du bonheur. Mais quand l'objet aimé n'est pas là, les pores de l'âme par où sortaient les ailes se dessèchent et se ferment ; les ailes n'ont plus d'issue ; enfermées avec les émanations de la beauté, elles s'agitent, elles battent comme les veines, et font effort vers leurs issues naturelles qui se sont refermées, de sorte que l'âme, aiguillonnée de toutes parts, est dans les angoisses et dans les fureurs, tandis que le souvenir de la beauté lui cause de la joie. Partagée entre ces deux sentiments et ne pouvant s'expliquer ce qu'elle éprouve, elle se trouble, elle se désespère, elle tombe dans une espèce de rage et son délire [251e] ne lui permet plus de sommeiller pendant la nuit ni de reposer pendant le jour ; elle court avidement du côté où elle croit apercevoir le bel objet qui l'occupe toute entière. Dès qu'elle peut le revoir, et se remplir de nouveau des émanations de la beauté, aussitôt se rouvrent tous les pores obstrués ; l'âme respire, cesse de ressentir l'aiguillon de la douleur et goûte pour le moment la plus pénétrante [252a] volupté. Aussi ne veut-elle se détacher à aucun prix de son bien-aimé; rien à ses yeux n'est aussi précieux ; mère, parents, famille, amis, elle oublie tout; son bien négligé se perd sans qu'elle en tienne aucun compte ; les goûts nobles et légitimes qui faisaient son orgueil, n'ont plus pour elle aucun charme ; elle est prête à vivre esclave, et à s'endormir du plus profond sommeil, pourvu que ce soit le plus près possible de son bien-aimé. Car indépendamment du culte qu'elle rend à la beauté, [252b] elle ne trouve qu'auprès d'elle un remède à ses maux cuisants.

Cette affection, beau jeune homme auquel s'adresse ce discours, les hommes l'appellent AMOUR; si je te dis comment les dieux l'appellent, le nom te fera rire sans doute par sa singularité. Quelques Homérides nous citent, je crois, des pièces détachées d'Homère deux vers dont l'un est bien outrageant pour l'amour et assez peu mesuré : [252c] Les mortels le nomment l'Amour (Éros) qui a des ailes ; Mais les dieux l'appellent Ptèros, parce qu'il a la vertu d'en donner. On est libre d'admettre ou de rejeter l'autorité de ces vers, mais il n'en est pas moins vrai que les amants éprouvent l'espèce de sentiment que j'ai tâché de décrire » [Platon, Phèdre]


(209) Platon (CDP T12-T13) - Philia : L'ascension dialectique de l'echelle de l'Amour


(205)Platon - (CDP T10, 93) Eros est désir de fusion


Démon Mais enfin, Diotime, dis moi qu'est-il donc? — C'est comme je te le disais tout à l'heure, quelque chose d'intermédiaire entre le mortel et l'immortel. — Mais quoi enfin ? — C'est un grand démon, Socrate, et tout démon tient le milieu [202e] entre les dieux et les hommes. — Quelle est, lui demandai-je, la fonction d'un démon? — D'être l'interprète et l'entremetteur entre les dieux et les hommes apportant au ciel les vœux et les sacrifices des 299 hommes, et rapportant aux hommes les ordres des dieux et les récompenses qu'ils leur accordent pour leurs sacrifices. Les démons entretiennent l'harmonie de ces deux sphères : ils sont le lien qui unit le grand tout. C'est d'eux que procède toute la science divinatoire et l'art des prêtres relativement aux sacrifices, aux initiations, [203a] aux enchantements, aux prophéties et à la magie. Dieu ne se manifeste point immédiatement à l'homme, et c'est par l'intermédiaire des démons que les dieux commercent avec les hommes et leur parlent, soit pendant la veille soit pendant lé sommeil. Celui qui est savant dans toutes ces choses est un homme démoniaque ou inspiré; et celui qui excelle dans le reste, dans les arts et métiers, est appelé manœuvre. Les démons sont en grand nombre, et de plusieurs sortes; et l'Amour est l'un d'eux. — De quels parents tire-t-il sa naissance? dis-je à Diotime. — Le récit en est un peu long, reprit-elle, mais je vais toujours te le faire.


(204) Platon (CDP T11, 94) Eros est manque



(207) Platon - Thanatos et le "Tonneau ded Danaïdes"
«[1] CALLICLES. Comment un homme serait-il heureux s'il est asservi à quoi que ce soit? Mais je vais te dire avec toute liberté ce que c'est que le beau et le juste dans l'ordre de la nature. Pour mener une vie heureuse, il faut laisser prendre à ses passions tout l'accroissement possible, et ne point les réprimer; [492a] et lorsqu'elles sont ainsi parvenues à leur comble, il faut être en état de les satisfaire par son courage et son habileté, et de remplir chaque désir à mesure qu'il naît. […] Comment cette beauté prétendue de la justice et de la tempérance [492c] ne les rendrait-elle pas malheureux, puisqu'elle leur ôterait la liberté de donner plus à leurs amis qu'à leurs ennemis, et cela tout souverains qu'ils sont dans leur propre ville? Telle est, Socrate, la vérité des choses, que tu cherches, dis-tu. La volupté, l'intempérance, la licence, pourvu qu'elles aient des garanties, voilà la vertu et la félicité. Toutes ces autres belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que des extravagances humaines, auxquelles il ne faut avoir nul égard.
[2] SOCRATE - C’est une vie que celle dont tu parles ? En vérité, je ne serais pas surpris que ce que dit Euripide fût vrai : "Qui sait si la vie n'est pas pour nous une mort, et la mort une vie? Peut-être mourons-nous [493a] réellement nous autres, comme je l'ai ouï dire à un sage.
[3] Ce sage prétendait que notre vie actuelle est une mort, notre corps un tombeau , et que cette partie de l'âme, où résident les passions, est de nature à changer de sentiment, et à passer d'une extrémité à l'autre; et un homme habile dans l'art des fables, Sicilien peut-être ou Italien, appelait par une allusion de nom partie de l'âme un tonneau [pythos], à cause de sa facilité à croire et à se laisser persuader [pythanos], et les insensés des hommes qui ne sont pas initiés aux saints mystères. [493b] Il comparait la partie de l'âme de ces hommes non initiés, dans laquelle résident les passions, en tant qu'elle est intempérante et ne saurait rien remplir, à un tonneau percé, à cause de son insatiable avidité. Il pensait tout au contraire de toi, Calliclès, que de tous ceux qui sont dans l'autre monde (entendant par là le monde invisible) les plus malheureux sont les hommes que l'initiation n'a pas purifiés, et qu'ils portent dans un tonneau percé de l'eau qu'ils puisent avec un crible également percé. Ce crible, disait-il en m'expliquant [493c] sa pensée, c'est l'âme; et il désignait par crible l'âme des insensés, pour marquer qu'elle est percée, et que la défiance et l'oubli ne lui permettent de rien retenir. Toute cette explication est assez bizarre; néanmoins elle fait entendre ce que je veux te donner à connaître, si je puis réussir à te faire changer d'avis, et préférer à une vie insatiable et dissolue une vie réglée, qui se contente de ce qu'elle a sous la main, et n'en désire pas » [Platon, Gorgias]


(208) Platon - Epithymia: un "démoniaque" désir d'Horreur: le syndrome de Léonce «On m'a dit une chose que je crois vraie. La voici: Léonce, fils d'Aglaïon, revenant un jour du Pirée, le long de la partie extérieure de la muraille septentrionale, aperçut des cadavres étendus sur le lieu des supplices; il éprouva le désir de s'approcher pour les voir avec un sentiment pénible, qui lui faisait aussi détourner les regards. Il résista d'abord, et se cacha le visage; [440a] mais enfin, cédant à la violence de son désir, il courut vers ces cadavres, et ouvrant de grands yeux, il s'écria: Hé bien, malheureux, rassasiez-vous d'un si beau spectacle. J'ai ouï raconter ce trait. C'est une preuve que la colère s'oppose quelquefois en nous au désir, comme à une chose distincte de lui. – Oui, c'en est une preuve » [Platon, La République IV]


(210) Schopenauer (CDP T4, 354) - Le cycle infini du manque/ennui


(211) Kierkegard (CDP T3, 382) Le désir feint l'essentiel (Don Juan)


(212) D'Holbach (CDP T2, 285) L'homme désire naturellement l'immortalité


(213) Epicure (CDP T4, 127) La certitude de la mort nous ôte le désir d'immortalité


(214=T113) Aristote Tout être désire participer de la divinité


(215=T11) Aristote (CDP T6, 111) L'homme désire naturellement le savoir


(216) Kant (CDP T23, 309) Aimer la beauté n'est pas la désirer


(217) Hegel (CDP T31, 348) Aimer la beauté n'est pas la désir


(218)PLATON La tempérance – « La tempérance est une manière d'être bien ordonnée, et, comme on dit, un empire qu'on exerce sur ses plaisirs et ses passions. Delà vraisemblablement l'expression que je n'entends pas trop, être « maître de soi-même » et encore d'autres expressions qui mettent comme sur la trace de cette vertu. N'est-ce pas? – Soit – Cette expression, « maître de soi-même », n'est-elle pas ridicule? Celui qui est maître de lui-même serait alors son propre esclave, et celui qui est esclave de lui-même serait son maître, [431a] car c'est toujours à la même personne que se rapportent toutes ces dénominations. Assurément. Mais voici, je pense, le vrai sens de cette expression : il y a dans l'âme de l'homme deux parties, l'une meilleure, l'autre moins bonne; quand la partie meilleure domine la partie moins bonne, on dit de l'homme qu'il est maître de lui-même, et c'est un éloge ; mais quand par le défaut d'éducation ou par quelque mauvaise habitude, la partie moins bonne envahit et subjugue la partie meilleure, [431b] alors on dit de l'homme, en manière de reproche, qu'il est esclave de lui-même et intempérant » [Platon, Rép. IV, 430e segg.]


(219) Platon (CDP T15, 98) La tempérance (2)


(220) Epicure (CDP T5-T6-T7, 128) Le discernement, le calcul, l'ataraxie


(221) Epictète (CDP T2, 139) Le désir doit s'harmoniser à ma raison/volonté


(222) Descartes (CDP T30, 204) Changer le désir plutôt que l'ordre du monde


(224) Lacan -(CDP T5, 507) La raison doit s'armoniser au désir


(225) Schopénauer - (CDP T5-T6, 355,356) Le désir doit être anéanti



(226) LE "SYNDROME DE LEONCE"
[1] Maintenant mon ami, si nous trouvons que l'homme a dans l'âme trois parties correspondantes [435c] aux trois ordres de l'État, nous leur donnerons à bon droit les mêmes noms. – Cela est de toute nécessité. – Or, ces trois parties existent-elles ou non dans l'âme? Voilà, mon cher, une question assez fâcheuse. Pas si fâcheuse, à mon avis : le proverbe a raison, Socrate : le beau est difficile. – Sans doute – Mais sache, Glaucon, que, [435d] dans mon opinion, une méthode semblable à celle que nous suivons ne peut nous mener véritablement à notre but ; c'est une autre route et plus longue et plus compliquée qui doit nous y conduire; toutefois, cette méthode peut nous donner encore une solution qui convienne à notre discussion et à ce que nous avons dit jusqu'ici. Pourquoi ne pas nous en contenter? Pour le moment, cette solution me suffirait. – Et moi aussi je ne demande pas mieux que de m'y tenir. Poursuis donc tes recherches sans te lasser. [435e]
[2] Essayons de déterminer de la manière suivante s'il y a dans l'âme trois principes distincts ou un seul et même principe. De quelle manière? Évidemment la même chose, considérée sous le même rapport et relativement au même objet, ne pourra pas produire et éprouver des effets contraires : de sorte que si nous découvrons ici un phénomène semblable, nous reconnaîtrons qu'il n'y a pas unité, [436c] mais diversité de principes. Soit. […]
[3] Dis-moi maintenant ; faire un signe de consentement et faire un signe de refus, s'attacher à une chose et la rejeter, l'attirer à soi et la repousser, sont-ce des choses opposées? actions ou passions, peu importe? – Ce sont des choses opposées. – La faim, la soif, et en général les appétits naturels, vouloir; préférer, toutes ces choses, ne sont-elles pas de la même espèce [437c] que celles dont nous venons de parler? Par exemple, ne diras-tu pas toujours d’un homme qui désire, que son âme s'attache à ce qu'elle désire, ou qu'elle attire à soi la chose qu'elle voudrait avoir; ou qu'en tant qu'elle souhaite qu'une chose lui soit donnée, elle fait signe qu'elle la veut, comme si on l'interrogeait là-dessus, en se portant elle-même en quelque manière au-devant de l'accomplissement de son désir? Oui. Ne pas consentir, ne pas vouloir, ne pas désirer, n'est-ce pas la même chose que repousser et éloigner de soi, et n'y a-t-il pas opposition entre ces opérations et les précédentes? [437d] – Sans contredit.
[4] Cela posé, n'avons nous pas des désirs naturels, et les plus apparents ne sont-ils pas ceux que nous appelons la faim et la soif? Oui. L'une n'a-t-elle pas pour objet le boire, l'autre le manger? Sans doute. […] Chaque désir se porte naturellement vers son objet pris en lui-même […] Par conséquent, l'âme d'un homme qui a simplement soif, ne veut autre [439b] chose que boire; c'est ce qu'elle désire et l'objet vers lequel elle se porte. – Évidemment. – Si donc, lorsque l'âme a soif, quelque chose l'arrête dans l'impétuosité de son désir, ce sera un principe différent de celui qui excite en elle la soif et l'entraîne comme une brute vers le boire; car, disons-nous, le même principe ne peut produire à la fois et par lui-même deux effets opposés sur le même objet. – Cela ne peut être. – De même, à mon avis, il ne faudrait pas dire d'un archer qu'avec ses deux mains il tire l'arc à soi et le repoussé en même temps : mais bien qu'il tire l'arc à soi d'une main et le repousse de l'autre. [439c] – Très bien.
[5] Dirons-nous qu'il se trouve quelquefois des gens qui ont soif et ne veillent pas boire? On en trouve souvent et en grand nombre. Que penser de ces gens, sinon qu'il y a dans leur âme un principe qui leur ordonne de boire, et un autre qui le leur défend, et qui l'emporte sur le premier? – Pour moi, je le pense. – Ce principe qui leur défend de boire ne vient-il pas [439d] de la raison? Celui qui les y porte et les y entraîne ne vient-il pas à la suite de la souffrance et de la maladie? Oui. Nous aurions donc raison de penser que ce sont deux principes distincts l'un de l'autre, et d'appeler raisonnable cette partie de l'âme par laquelle elle raisonne; et déraisonnable, siège du désir, compagne des excès et des voluptés, cette autre partie de l'âme qui aime, qui a faim et soif, qui est la proie de tous les désirs. [439e] Oui, et cette opinion est très vraisemblable. Reconnaissons par conséquent que ces deux parties se trouvent dans l'âme.

[6] [A] En revanche, la partie qui est le siège de la colère, et qui cause en nous le courage, forme-t-elle une troisième partie ou rentre-t-elle dans l'une des deux autres? – Peut-être rentre-t-elle dans la partie qui est le siège du désir
[B] On m'a dit une chose que je crois vraie. La voici : Léonce, fils d'Aglaïon , revenant un jour du Pirée, le long de la partie extérieure de la muraille septentrionale, aperçut des cadavres étendus sur le lieu des supplices; il éprouva le désir de s'approcher pour les voir avec un sentiment pénible, qui lui faisait aussi détourner les regards. Il résista d'abord, et se cacha le visage ; [440a] mais enfin, cédant à la violence de son désir, il courut vers ces cadavres, et ouvrant de grands yeux, il s'écria: Hé bien, malheureux, rassasiez-vous d'un si beau spectacle. J'ai ouï raconter ce trait. C'est une preuve que la colère s'oppose quelquefois en nous au désir, comme à une chose distincte de lui. – Oui, c'en est une preuve.
[C] Ne remarquons-nous pas aussi en plusieurs occasions que, lorsqu'on [440b] se sent entraîné par ses désirs malgré la raison, on se fait des reproches à soi-même, on s'emporte contre ce qui nous fait violence intérieurement, et que dans ce conflit qui s'élève comme entre deux personnes, la colère se range du coté de la raison? Mais qu'elle se soit jamais mise du côté du désir, quand la raison prononce qu'il ne faut pas faire quelque chose, c'est ce que tu n'as jamais éprouvé en toi - même ni remarqué dans les autres. Non, par Jupiter. [440c] N'est-il pas vrai que, quand on croit avoir tort, plus on a de générosité dans les sentiments, moins on peut se fâcher, quelque chose que l'on souffre de la part d'un autre, la faim, la soif ou tout autre tourment semblable, lorsqu'on croit qu'il a raison de nous traiter de la sorte; qu'enfin, comme je l'ai déjà dit, la colère en nous ne saurait s'élever contre lui? Cela est vrai. Et qu'au contraire, si l'on se croit victime d'une injustice, alors on s'enflamme, on s'irrite, on combat pour ce que l'on regarde comme la justice; on supporte, sans se laisser abattre, la faim, la soif et tous les autres tourments […]
[D] La colère est donc évidemment tout autre qu'elle ne nous a paru d'abord. Nous pensions qu'elle se rapportait à la partie de l'âme qui est le siège du désir; maintenant nous sommes bien éloignés de le dire : nous dirions plutôt que lorsqu'il s'élève quelque sédition dans l’âme, la colère prend les armes en faveur de la raison. Tout-à-fait. […] La colère forme donc nécessairement une troisième partie de m’âme. – Oui, sans doute, si elle se montre distincte de la raison, comme elle s'est montrée distincte de la partie qui est le siège du désir. – […] Très bien. Enfin nous sommes parvenus, à travers bien des difficultés, à tomber d'accord suffisamment qu'il y a dans l'État et dans l'âme d'un individu des parties correspondantes et égales en nombre » [La République, Livre IV]


10.BONHEUR

(231) ARISTOTE «Quel est de tous les biens réalisables celui qui est le Bien suprême?. Sur son nom, en tout cas, la plupart des hommes sont pratiquement d’accord : c’est le bonheur au dire des gens du peuple aussi bien que des gens cultivés. Tous assimilent le fait de bien vivre et de réussir au fait d’être heureux. Par contre, en ce qui concerne la nature du bonheur, on ne s’entend plus, et les réponses de la foule ne ressemblent pas à celles des sages. Les uns, en effet, identifient le bonheur à quelque chose d’apparent et de visible, comme le plaisir, la richesse ou l’honneur. Pour les uns, c’est une chose, et pour les autres une autre chose. Souvent le même homme change d’avis à son sujet : malade, il place le bonheur dans la santé, et pauvre, dans la richesse…» [Aristote, Ethique à Nicomaque§2, 1095a]


(232)SENEQUE«Dans la vie, mon frère Gallion, c’est le bonheur, que veulent tous les hommes; mais s’agit-il de voir nettement en quoi consiste ce qui peut réaliser la vie heureuse, ils ont un nuage devant les yeux. Non certes, il n’est pas facile de parvenir à la vie heureuse; car chacun s’en éloigne d’autant plus, qu’il court plus rapidement après elle, s’il a manqué le chemin : quand le chemin conduit en sens contraire, la vitesse même augmente la distance… » [Sénèque, La vie bienheureuse Chap.1]

(233) ARISTOTE «Sans doute l’identification du bonheur et du Souverain Bien apparaît-elle comme une chose sur laquelle tout le monde est d’accord’ ; ce qu’on désire encore, c’est que nous disions plus clairement quelle est la nature du bonheur. Peut-être pourrait-on y arriver si on déterminait la fonction [ergon] de l’homme. De même, en effet, que dans le cas d’un joueur de flûte, d’un statuaire, ou d’un artiste quelconque, et en général pour tous ceux qui ont une fonction ou une activité déterminée, c’est dans la fonction que réside, selon l’opinion courante, le bien, le « réussi », de même on peut penser qu’il en est ainsi pour l’homme [en tant que tel] s’il est vrai qu’il y ait une certaine fonction spéciale à l’homme. En fait, serait-il possible qu’un charpentier ou un cordonnier aient une fonction et une activité à exercer, mais que l’homme en tant que tel n’en ait aucune, et que la nature l’ait dispensé de toute œuvre à accomplir ? Ou bien encore, de même qu’un œil, une main, un pied et, d’une manière générale, chaque partie d’un corps, a manifestement une certaine fonction à remplir, ne doit-on pas admettre que l’homme a, lui aussi, en dehors de toutes ces activités particulières, une fonction déterminée ? Mais alors en quoi peut-elle consister ? » [Aristote, Ethique à Nicomaque §6 1097b21segg.]


(234)ARISTOTE «Les hommes, et il ne faut pas s’en étonner, paraissent concevoir le bien et le bonheur d’après la vie qu’ils mènent. La foule et les gens les plus grossiers disent que c’est le plaisir : c’est la raison pour laquelle ils ont une préférence pour la vie de jouissance. C’est qu’en effet les principaux types de vie sont au nombre de trois : la vie de jouissance, la vie active [du politique], et la vie contemplative.
La foule se montre véritablement d’une bassesse d’esclave en optant pour une vie bestiale, mais elle trouve son excuse dans le fait que beaucoup de ceux qui appartiennent à la classe dirigeante ont les mêmes goûts qu’un Sardanapale
Les gens cultivés, et qui aiment la vie active, préfèrent l’honneur, car c’est là, à tout prendre la fin de la vie politique. Mais l’honneur apparaît comme une chose trop superficielle pour être l’objet cherché, car, de l’avis général, il dépend plutôt de ceux qui honorent que de celui qui est honoré ; or nous savons d’instinct que le bien est quelque chose de personnel à chacun et qu’on peut difficilement nous ravir. […]
Le troisième genre de vie, c’est la vie contemplative, dont nous entreprendrons l’examen par la suite.
Quant à la vie de l’homme d’affaires c’est une vie de contrainte, et la richesse n’est évidemment pas le bien que nous cherchons : c’est seulement une chose utile, un moyen en vue d’une autre chose. Aussi vaudrait-il encore mieux prendre pour fins celles dont nous avons parlé précédemment, puisqu’elles sont aimées pour elles-mêmes. Mais il est manifeste que ce ne sont pas non plus ces fins-là, en dépit de nombreux arguments qu’on a répandus en leur faveur» [Aristote, Ethique à Nicomaque §3 1095b]



(230) Malgré le désir qu'a tout homme d'arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut

[A] «Le bonheur est l'état où se trouve dans le monde un être raisonnable pour qui, dans toute son existence, tout va selon son désir et sa volonté, et il suppose, par conséquent, l'accord de la nature avec tout l'ensemble des fins de cet être, et en même temps avec le principe essentiel de sa volonté » [Kant Critique de la Raison Pratique]

[B] Malgré le désir qu'a tout homme d'arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut«Le concept de bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu'a tout homme d'arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut. La raison en est que tous les éléments qui font partie du concept du bonheur sont dans leur ensemble empiriques, c'est-à-dire qu'ils doivent être empruntés à l'expérience, et que cependant pour l'idée du bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future est nécessaire. - Or il est impossible qu'un être fini, si perspicace et en même temps si puissant qu'on le suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu'il veut ici véritablement. Veut-il la richesse ? Que de soucis, que d'envie, que de pièges ne peut-il pas par là attirer sur sa tête ! Veut-il beaucoup de connaissances et de lumières ? Peut-être tout cela ne fera-t-il que lui donner un regard plus pénétrant pour lui représenter d'une manière d'autant plus terrible les maux qui jusqu'à présent se dérobent encore à sa vue et qui sont pourtant inévitables, ou bien que charger de plus de besoins encore ses désirs qu'il a déjà bien assez de peine à satisfaire. Veut-il une longue vie ? Qui lui répond que ce ne serait pas une longue souffrance ? Veut-il du moins la santé ? Que de fois l'indisposition du corps a détourné d'excès où aurait fait tomber une santé parfaite, etc. ! Bref, il est incapable de déterminer avec une entière certitude d'après quelque principe ce qui le rendrait véritablement heureux : pour cela il lui faudrait l'omniscience. On ne peut donc pas agir, pour être heureux, d'après des principes déterminés, mais seulement d'après des conseils empiriques, qui recommandent, par exemple un régime sévère, l'économie, la politesse, la réserve, etc., toutes choses qui, selon les enseignements de l'expérience, contribuent en thèse générale pour la plus grande part au bien-être. Il suit de là que les impératifs de la prudence [cf.T?47[3]? à parler exactement, ne peuvent commander en rien, c'est-à-dire représenter des actions d'une manière objective comme pratiquement nécessaires, qu'il faut les tenir plutôt pour des conseils (consilia) que pour des commandements (praecepta) de la raison ; le problème qui consiste à déterminer de façon sûre et générale quelle action peut favoriser le bonheur d'un être raisonnable est un problème tout à fait insoluble ; il n'y a donc pas à cet égard d'impératif qui puisse commander, au sens strict du mot, de faire ce qui rend heureux, parce que le bonheur est un idéal non de la raison mais de l'imagination, fondé uniquement sur des principes empiriques, dont on attendrait vainement qu'ils puissent déterminer une action par laquelle serait atteinte la totalité d'une série de conséquences en réalité infinie. [E. Kant, Fondements de la Métaphysique des Mœurs, Deuxième section]

[C] «Dans la constitution naturelle d'un être organisé, c’est-à-dire d'un être conformé en vue de la vie, nous posons en principe qu'il ne se trouve pas d'organe pour une fin quelconque, qui ne soit du même coup le plus propre et le plus accommodé à cette fin. Or, si dans un être doué de raison et de volonté la nature avait pour but spécial sa conservation, son bien-être, en un mot son bonheur, elle aurait bien mal pris ses mesures en choisissant la raison de la créature comme exécutrice de son intention. Car toutes les actions que cet être doit accomplir dans cette intention, ainsi que la règle complète de sa conduite, lui auraient été indiquées bien plus exactement par l'instinct, et cette fin aurait pu être bien plus sûrement atteinte de la sorte qu'elle ne peut jamais l'être par la raison ; […] en un mot, la nature aurait empêché que la raison n'allât verser dans un usage pratique et n'eût la présomption, avec ses faibles lumières, de se figurer le plan du bonheur et des moyens d'y parvenir; la nature aurait pris sur elle le choix, non seulement des fins, mais encore des moyens mêmes, et avec une sage prévoyance elle les eût confiés ensemble simplement à l'instinct Au fait, nous remarquons que plus une raison cultivée s’occupe de poursuivre la jouissance de la vie et du bonheur, plus l’homme s’éloigne du vrai contentement. Voilà pourquoi chez beaucoup, et chez ceux-là mêmes qui ont fait de l'usage de la raison la plus grande expérience, il se produit, pourvu qu'ils soient assez sincères pour l'avouer, un certain degré de misologie, c’est-à-dire de haine de la raison» [Fondements de la Métaphysique des Mœurs, Ie Section]



(235) Freud "Les hommes aspirent au bonheur, mais le dessein que l'homme soit heureux n'est pas contenu dans le plan de la création" (CDP Freud T18, 440)


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