Je me souviens d'un soir de révélation profonde : l'identification de Dieu avec la Vie même était une idée qui me remua presque jusqu'à l'extase parce qu'elle me permettait dès lors de voir dans la biologie l'explication de toutes choses et de l'esprit lui-même.
Avoir eu l'expérience précoce de ces problématiques a constitué, j'en suis convaincu, le mobile secret de mon activité ultérieure en psychologie. [Mais] mes études de zoologie fonctionnèrent si je puis dire comme instruments de projection contre le démon de la philosophie . [Jean Piaget, Autobiographie]

PIAGET et la foi dans la Vie: l'assimilation de la Vie par elle-même

I. Métaphores de la simultanéité

I - Le passage du CHAOS au COSMOS, s'opère donc par une élimination de l'égocentrisme. [...] A l'autre extrême, c'est-à-dire au moment où l'intelligence sensori-motrice a suffisamment élaboré la connaissance pour que soient rendus possibles le LANGAGE et l'intelligence réfléchie, l' UNIVERS est au contraire constitué en une structure à la fois substantielle et spatiale, causale et temporelle. Or cette organisation du réel s'effectue, verrons-nous, dans la mesure où le MOI se délivre de lui même en se découvrant et se situe ainsi comme une chose parmi les choses, un événement parmi les événements .[CR7]

IIA - L'espace euclidien lié à nos organes n'est que l'un de ceux qui s'adaptent à l'expérience physique. Au contraire, l'activité déductive et organisatrice de la RAISON est illimitée et conduit précisément, dans le domaine de l'espace à des généralisations dépassant toute intuition .
Pour autant que cette activité est héréditaire, c'est donc en un tout autre sens. [...] C'est en ce second sens que H. Poincaré a pu considérer la notion spatiale de « groupe » comme a priori , parce que liée à l'activité même de l'intelligence. Quant à l'hérédité de l'intelligence comme telle, nous retrouvons la même distinction. D'une part, une question de structure : l'« hérédité spéciale » de l'espèce humaine et de ses « lignées » particulières comporte certains niveaux d'intelligence, supérieurs à celui des singes, etc. Mais, d'autre part, l'activité fonctionnelle de la raison (l'IPSE INTELLECTUS qui ne vient pas de l'expérience) est évidemment liée à l'«hérédité générale» de l'organisation vitale elle-même : de même que l'organisme ne saurait s'adapter aux variations ambiantes s'il n'était pas déjà organisé, de même l'intelligence ne pourrait appréhender aucune donnée extérieure sans certaines fonctions de cohérence (dont le terme ultime est le principe de non-contradiction ), de mise en relations, etc , qui sont communes à toute organisation intellectuelle [NI9].

IIB - Du simple réflexe à l'intelligence la plus systématique, un même fonctionnement nous paraît se prolonger au travers de tous les stades , établissant ainsi une continuité entière entre des structures de plus en plus complexes. NI137 Si les structures dont use la pensée varient d'un stade à l'autre et, a fortiori, d'un SYSTEME MENTAL à un autre, la PENSEE demeure constamment identique à elle-même du point de vue fonctionnel.[CR77]

II. La dynamique de la symbolisation

La Chora: l'univers primitif des esprits occultes

Supposons un être qui ignore tout de la distinction entre la pensée et les corps.
Cet être prendra conscience de ses désirs et de ses sentiments, mais assurément il aura de lui une notion beaucoup moins claire que nous de nous-mêmes. Il se sentira, pour ainsi dire, moins intérieur à lui-même que nous, moins indépendant du monde extérieure. La conscience que nous avons de penser nous détache en effet des choses mais surtout, les connaissances psychologiques d'un tel être feront toutes différentes des nôtres. Les rêves, par exemple, lui paraîtront une irruption du dehors dans le dedans Les mots seront liés aux choses et parler consistera à agir directement sur les corps. Inversement, les corps extérieurs seront moins matériels : ils seront pénétrés d'intentions et de volonté.
Nous chercherons à montrer que c'est là le fait de l'enfant. L'enfant ignore tout de la spécificité de la pensée, et cela même au stade où il se laisse influencer par les propos adultes concernant 1' « esprit », le « cerveau », 1' « intelligence RM35

SCHI (6 ans) prononce spontanément le mot de « MEMOIRE ». « Qu'est-ce que c'est la mémoire ? — C'est qu'on se rappelle quelque chose. — Comment on se rappelle ? — Tout d'un coup ça nous revient dans notre âme. D'abord on nous a dit quelque chose, ça vient dans notre âme, puis ça sort et ça revient. — Ça sort ? Ça va où ? — Dans le ciel. — Tu crois ça toi ? — Oui, je ne sais pas, mais je dis ce que je sais [ce que je crois] ».[RM 41]

Les deux premiers stades sont caractérisés par l'absence de toute conduite spéciale relative aux objets disparus. Ou bien le tableau qui s'éclipse entre aussitôt dans l'oubli , c'est-à-dire dans le néant affectif , ou bien il est regretté, désiré et attendu à nouveau, et la seule conduite utilisée pour le retrouver est la répétition simple des accommodations antérieures.CR17 Cet univers primitif est phénoméniste , et loin de constituer d'emblée un monde de substances. [...] L'objet disparu n'est pas encore pour lui un objet permanent qui se déplace : c'est un simple tableau qui rentre dans le néant sitôt éclipsé , pour en ressortir sans raison objective. CR16 [...] [Quand] l'enfant espère le retour du TABLEAU INTERESSANT (de sa MAMAN, etc.) qu'il lui attribue une sorte de permanence affective ou subjective sans localisation ni substantialisation : le tableau disparu demeure, pour ainsi dire « à disposition », sans qu' il se trouve nulle part au point de vue spatial .
Il demeure ce qu'est un ESPRIT OCCULTE POUR LE MAGICIEN: prêt à revenir, si l'on s'y prend bien, mais n'obéissant à aucune loi objective. Or comment l'enfant s'y prend-il pour ramener à lui l'image de ses i désirs ? Simplement en criant au hasard ou en regardant l'endroit où elle s'est éclipsée et où el'e a été vue pour la dernière fois

On voit donc que l'activité intellectuelle débute par la confusion de l'expérience et de la conscience de soi, du fait de l' INDIFFERENTIATION CHAOTIQUE de l'accommodation et de l'assimilation. Autrement dit, la connaissance du monde extérieur débute par une utilisation immédiate des choses tandis que la connaissance de soi est bouchée par ce contact purement pratique et utilitaire. Au fur et à mesure de la différenciation et de la coordination de l'assimilation et de l'accommodation, l'activité expérimentale et accommodatrice pénètre à l'intérieur des choses cependant que l'activité assimilatrice s'enrichit et s'organise.

Il y a donc mise en relations progressive entre les zones de plus en plus profondes et éloignées du réel et les opérations toujours plus intimes de l'activité propre. L'intelligence ne débute ainsi ni par la connaissance du moi ni par celle des choses comme telles, mais par celle de leur interaction, et c'est en S'ORIENTANT SIMULTANEMENT vers les deux pôles de cette interaction qu'elle organise le monde en s'organisant elle-même. Un'image fera comprendre la chose.

orientation simultané

Soit l'organisme représenté sous la forme d'un petit cercle inscrit dans un grand cercle, lequel correspond lui-même à l'univers ambiant. La rencontre entre l'organisme et le milieu s'opère au point A et en tous les points analogues A LA FOIS les plus extérieurs à l'organisme et les plus extérieurs au milieu lui-même. [CR311]

Les stades

[INTELLIGENCE SENSORI-MOTRICE]

  1. Durant le premier stade, il n'existe naturellement aucun contact direct avec l'expérience.
  2. Durant le second[/troisième] stade, des associations nouvelles se constituent et ainsi débute la pression de l'expérience. Il y a là certes une conquête due à l'expérience. Seulement cette « expérience » ne met pas encore l' ESPRIT EN PRESENCE des « choses » elles-mêmes : elle le place exactement à michemin entre le milieu externe et le corps propre. En bref, durant ces premiers stades, c'est-à-dire tant que l'activité de l'enfant consiste en simples répétitions sans intentionnalité, l'univers n'est point encore dissocié de l'action propre et les catégories demeurent subjectives.

    Dès que les schèmes deviendront, par contre, susceptibles de décompositions et de recombinaisons intentionnelles, c'est-à-dire d'activité proprement intelligente, la conscience des relations ainsi impliquée par la distinction des moyens et des fins entraînera nécessairement l' élaboration d'un MONDE indépendant du MOI [NI140].

  3. A - Les conduites du quatrième stade impliquent d'emblée une telle distinction. Le critère de leur apparition est, en effet, la coordination des schèmes secon daires entre eux. Or pour que deux schèmes, jusque-là isolés, soient coordonnés l'un à l'autre en un acte unique , il faut que le sujet se propose d'atteindre un but non directement accessible et mette en œuvre, dans cette intention, des schèmes jusque-là relatifs à d'autres situations. Dès lors, l'action ne fonctionne plus par simple répétition, mais en subsumant sous le schème principal une série plus ou moins longue de schèmes transitifs. Il y a donc tout à la fois distinction du but et des moyens et coordination intentionnelle des schèmes.
    L'acte intelligent est ainsi constitué, qui ne se borne pas à reproduire sans plus les résultats intéressants, mais à atteindre ceuxci grâce à des combinaisons nouvelles.
    B - Au cours du cinquième stade , par contre, l'accommodation tend à se libérer pour donner naissance à des conduites essentiellement expérimentales.[NI301] [...] Mais comment concevoir cette réorganisation des schèmes, si elle doit remplir la double condition de prolonger leur activité assimilatrice et de se libérer des circonstances extérieures dans lesquelles a débuté cette activité ? [NI301]
  4. Or cette intériorisation de l'imitation (des choses comme des personnes) ne se produit précisément qu'au cours du sixième stade, au moment où s'achève la conquête du mécanisme imitateur sous l'influence de la libération des schèmes par rapport à l'action immédiate [NI 308]
    D'autre part, grâce au détachement progressif des indices à l'égard de l' action immédiate au profit de la combinaison mentale, ces IMAGES se libèrent de la perception directe pour devenir "SYMBOLIQUES"[NI30].
[INTELLIGENCE VERBALE]

  1. «La CORRESPONDANCE est au début, tenue en échec par des facteurs d’ordre perceptif qui l’empêchent d’aboutir à la notion de l’équivalence durable » [GN60].
  2. « Ces cas intermédiaires marquent, en effet, le début de la libération de la correspondance opératoire par rapport à la correspondance optique ou intuitive» [GN 75] « les opérations réversibles ainsi constituées sont capables de la dominer et de remplacer ainsi la correspondance intuitive par une correspondance opératoire et quantifiante » GN77
  3. « Durant le troisième stade, en effet, la correspondance se libère de la figure intuitive et l’on voit apparaître des opérations spontanées de contrôle, par dissociations des totalités et mises en série » GN96.

Ce progrès se réalise d’une manière très continue, par un AFFRANCHISSEMENT progressif de la figure ou de l’intuition perceptive. Il suffit, en effet, que la correspondance qualitative se libère tant soit peu de leur forme précise […] L’opération effectuée n’est plus immédiatement absorbée par le résultat intuitif obtenu: elle s’en dégage, c’est-à-dire que l’action devient capable de revenir en arrière. GN119 »

La Chora: l'enfance de Georg Cantor et de Pappus d'Alexandre

Comparer deux quantités, c’est, en effet, ou mettre en proportion leurs dimensions, ou mettre en correspondance terme à terme leurs éléments. Or, ce dernier procédé apparaît, depuis Cantor , comme constitutif du nombre entier lui-même puisqu’il fournit la mesure la plus simple et la plus directe de l’équivalence des ensembles.

[…] Seulement […] la correspondance ne suffit pas, sous sa ou ses formes originelles à conférer aux collections correspondantes l’équivalence proprement dite, c’est-à dire la même «puissance» ou valeur cardinale , conçue à titre de constante issue de la correspondance comme telle.

LID et FUR

On annonce à l'enfant que l'on va jouer au marchand et on lui donne, à cet effet, quelques sous pour acheter soit des fleurs, soit des bonbons, etc. étant convenu que chaque objet coûte un sou.

Que LID, qui dans les exercices préliminaires fait correspondre correctement 4 sous à 4 boutons soit incapable, une fois l'échange un à un terminé, de postuler l'équivalence des collections échangées, cela est véritablement impressionnant.
FUR fait mieux encore : devant 7 sous serrés et 7 fleurs espacées, il compte les fleurs et les sous, constate ainsi l'identité de nombre des deux collections, mais refuse d'admettre leur équivalence : « Non, il y a plus de sous, il y en a un qui dépasse ! »

BLAS et BA

Nous allons d'abord chercher comment s'y prend l'enfant pour attirer à lui les objets à travers les barreaux de son parc. Une telle expérience est, en effet, de nature à nous permettre de poursuivre l'examen des rapports entre le schème dynamique et la perception ou représentation visuelle.[NI270]

NIL (5 ans) […] reproduit correctement un cercle de 10 jetons. Ce cercle est copié en respectant la valeur du diamètre. Lorsque l’on demande à Nil si c’est bien la même chose, il désigne du doigt les correspondances terme à terme. On place alors un jeton en regard de chaque élément du cercle-modèle, de manière à construire ainsi un cercle concentrique de plus grand diamètre par correspondance terme à terme:

Mais une fois le grand cercle concentrique achevé, Nil ne croit plus à l’équjvalence.

La Chora: l'enfance de Pythagore

[DU CÔTÉ DE PAPA-A-LA-FENÊTRE]

LUCIENNE (1,3 ans)est au jardin avec sa maman. J'arrive ensuite : elle me voit venir, me sourit, me reconnaît donc manifestement (je suis à 1 m. 50 environ). Sa maman lui demande alors : Où est papa ? : chose curieuse, Lucienne se tourne immédiatement vers la fenêtre de mon bureau, où elle a l'habitude de me voir, et désigne cette direction. — Un instant après, nous refaisons l'expérience : elle vient de me voir à 1 mètre d'elle, et quand sa maman prononce mon nom, Lucienne se tourne à nou¬veau du côté de mon bureau. On voit ici clairement que, si je ne suis pas à deux exemplaires pour elle, je donne du moins lieu à deux conduites distinctes, non synthétisées ni exclusives l'une de l'autre, mais simplement juxtaposées : c'est "papa à sa fenêtre" et "papa au jardin "CR54

Durant ce troisième stade encore, l'objet ne soit pas pour l'enfant ce qu'il est pour nous : un corps substantiel, individualisé et se déplaçant dans l'espace sans dépendre du contexte actif dans lequel ' il est inséré. [...] Il y aurait ainsi non pas une chaîne, une poupée, une montre, un père individualisées, permanents et indépendants de l'activité de l'enfant, mais il n'existerait encore que des tableaux tels que « papa-à-sa-fenêtre » et "papa-au-jardin" etc. [qui] sans être vraiment conçu comme donné à plusieurs exemplaires, il peut se présenter à l'enfant comme prenant un nombre restreint de formes distinctes, de nature intermédiaire entre l'unité et la pluralité et en ce sens il demeure solidaire de son contexte CR57.

Pour que ces choses deviennent réellement des objets, il faudra que l'enfant comprenne le « comment » de l'apparition et de la disparition de ces objets, et qu'il renonce ainsi à croire possible leur réapparition mystérieuse à l'endroit qu'ils ont quitté et où l'action propre les a retrouvés. En bref, il faudra qu'au phénoménisme de la perception immédiate et au dynamisme de l'efficace pratique succède un rationalisme proprement géométrique CR60

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III. La fixation

Motus perpetuus

AU TERME DE L'EVOLUTION , au contraire, toute action implique une organisation mobile à dissociations et regroupements indéfinis , le sujet pouvant ainsi s'assigner à lui-même des buts toujours plus indépendants de la suggestion du milieu immédiat. Comment s'opère un tel renversement ? Grâce à la complication progressive des schèmes: en renouvelant sans cesse ses actes par assimilation reproductrice et généralisatrice, l'enfant dépasse le simple exercice réflexe pour découvrir la réaction circulaire et constituer ainsi ses premières habitudes. Un tel processus est évidemment susceptible d'extension illimitée.
Après l'avoir appliqué à son propre corps , le sujet l'utilisera tôt ou tard pour s'adapter aux phénomènes imprévus du monde extérieur, d'où les conduites d'exploration, d'expérimentation, etc. D'où, ensuite, la possibilité de décomposer et de recomposer les mêmes schèmes : au fur et à mesure que les schèmes s'appliquent à des situations extérieures plus variées le sujet est conduit, en effet, à en dissocier les éléments et à les considérer comme moyens ou comme fins, en les regroupant du même coup entre eux de toutes manières. C'est CETTE DISTINCTION des moyens et des fins qui LIBERE L'INTENTIONNALITE et renverse ainsi la direction de l'acte : au lieu d'être tournée vers le passé, c'est-à-dire vers la répétition, l'action s'oriente vers les combinaisons nouvelles et l'invention proprement dite. NI137-138

Annuler le Temps guisa di luce

POUR DEVENIR MENTAUX, les schèmes sensori-moteurs doivent être suscéptibles de se combiner entre eux de toutes manières, c'est à dire précisément de pouvoir donner lieu à des inventions vraies NI 296

Si l’axiomatisation s’appuie sur certains procédés d’abstraction réfléchissante, elle y ajoute une liberté de manoeuvre toujours plus grande […] En synthèse, du point de vue génétique la FORMALISATION constitue un prolongement des abstractions réfléchissantes qui sont déjà à l’oeuvre dans le développement de la pensée ; celle-ci, grâce aux spécialisations et aux généralisations dont elle s’empare, acquiert >une liberté et une fécondité combinatoire qui dépasse largement et de tous les côtés les limites de la pensée naturelle, selon un processus analogue à celui grâce auquel les POSSIBLES arrivent à ILLUMINER le réel . (Piaget, 1993 p.76 Ma trad.) [cf.Poincaré et Galileo]

Tandis que les transformations réversibles idéalement supposées par la thermodynamique ne conservent l’équilibre qu’au travers de mouvements infiniment lents, c'est-à-dire pratiquement par une absence de changements, les transformations réversibles d’ordre intellectuel se présentent , au contraire, d’une façon INSTANTANEE et SIMULTANEE (comme si leur vitesse atteignait la vitesse de la lumière une fois ANNULE LE TEMPS . Pour nous servir d’une image commune, l’équilibre du regroupement serait de la sorte comparable à celui d’une balance dont les poids égaux seraient représentés par les deux membres d’une équation logique; chaque fois qu’un poids est ajouté ou enlevé d’un coté, la même chose se produit de l’autre côté [...] Le moment est donc venu de METTRE FIN AUX ANALOGIES trop faciles avec le champ de la physique, car si l'équilibre mental correspond aux transformations réversibles, et si les régulations correspondent aux déplacements de l'équilibre, lorsque le transformations irreversibles se produisent dans le champ des forces présentes, ces tranformations réversibles sont sans aucun doute irréalisables " (Piaget, 1979 p. 99, ma traduction)

IV. La dynamique de la généralisation

Il existe vraiment un noyau fonctionnel de l'organisation intellectuelle qui procède de l'organisation biologique dans ce qu'elle a de plus général, il est évident que cet invariant ORIENTERA l'ensemble des structures successives que la RAISON va élaborer dans son contact avec le réel : il jouera ainsi le rôle que les philosophes ont attribué à l'a priori, c'est-à-dire qu'il IMPOSERA aux structures certaines conditions nécessaires et irréductibles d'existence.

On peut poser, en vertu de tout ce que nous avons vu jusqu'à présent de l'assimilation, que chaque schème assimilateur TEND A CONQUERIR tout l'univers y compris les domaines assimilables au moyen des autres schèmes. Seule les résistances du milieu ou les incompatibilités dues aux conditions de l'activité du sujet mettent un frein à cette GENERALISATION.NI80

LE GRAND ENSEIGNEMENT des conduites du présent stade est, en effet, que la coordination des schèmes est corrélative à leur différenciation , autrement dit que l'organisation s'opère par regroupements et dissociations complémentaires. Repousser l'obstacle pour atteindre l'objectif suppose ainsi une coordination entre le schème de frapper et celui de saisir, mais une coordination telle que du schème de frapper soit EXTRAIT celui de « repousser» qui lui était immanent . Or une telle corrélation entre la coordination externe et la différenciation interne révèle un caractère fondamental de l'organisation. C'est que chaque schème, en tant que totalité, est GROS d'une série de schèmes virtuellement contenus en lui, toute totalité organisée étant ainsi, non pas composée de totalités d'échelle inférieure, mais SOURCE POSSIBLE de telles formations. Ces TOTALITES VITUELLES ne sont pas emboîtées et préformées dans la totalité d'ensemble, mais en résultent dans la mesure précisément où les totalités d'ensemble se coordonnent entre elles et se différencient par le fait même.

Une totalité organisée ne constitue donc jamais qu'une unité relative à l'échelle considérée. Soit dit en passant, c'est ce qui explique pourquoi l'assimilation ou l'organisation psychologiques sont de même nature que l'assimilation ou l'organisation physiologiques, leur échelle seule les opposant à ces dernières : tout acte d'assimilation intellectuelle suppose ainsi une série d'assimilations d'échelle inférieure se prolongeant jusque sur le plan de l' ASSIMILATION PROPREMENT VITALE . [...] Le FAIT ULTIME dans l'analyse de l'intelligence n'est donc pas l'affirmation statique de l'identité , mais le processus par lequel l'ESPRIT distingue deux termes en les mettant en relation et constitue cette relation en les rendant solidaires. La réciprocité est donc une IDENTITE DYNAMIQUE dont l'acte de coordination va de pair avec celui de différenciation. NI215-216