."Et c'est pour cela que le monde est divin, puisque c'est pour cela qu'il est harmonieux" [Henri Poincaré,La valeur de la science]
I - Sans le LANGAGE [de l'analyse mathématique], la plupart des analogies intimes des choses nous seraient demeurées à jamais inconnues ; et nous aurions toujours ignoré l'harmonie interne du MONDE , qui est, nous le verrons, la seule véritable réalité objective .La meilleure expression de cette harmonie, c'est la Loi. La Loi est une des conquêtes les plus récentes de l'esprit humain; il y a encore des peuples qui vivent dans un miracle perpétuel et qui ne s'en étonnent pas. C'est nous au contraire qui devrions nous étonner de la régularité de la nature. Les hommes demandent à leurs dieux de prouver leur existence par des miracles; mais la merveille éternelle c'est qu'il n'y ait pas sans cesse des miracles. Et c'est pour cela que le monde est divin, puisque c'est pour cela qu'il est harmonieux[VS22]. Tout ce qui n'est pas pensée est le pur néant; puisque nous ne pouvons penser que la pensée et que tous les mots dont nous disposons pour parler des choses ne peuvent exprimer que des pensées ; dire qu'il y a autre chose que la pensée, c'est donc une affirmation qui ne peut avoir de sens .Et cependant — ETRANGE CONTRADICTION POUR CE QUI CROIENT AU TEMPS — l'histoire géologique nous montre que la vie n'est qu'un court épisode entre deux éternités de mort, et que, dans cet épisode même, la pensée consciente n'a duré et ne durera qu'un moment. La pensée n'est qu'un éclair au milieu d'une longue nuit. Mais c'est cet éclair qui est tout.[VS187]
II - Le Raisonnement par Recurrence , inaccessible à la démonstration analytique et à l'expérience, est le véritable type du jugement synthétique a priori. On ne saurait d'autre part songer à y voir une convention , comme pour quelques-uns des postulats de la géométrie. Pourquoi donc ce jugement s'impose-t-il à nous avec une irrésistible évidence? C'est qu' il n'est que l'affirmation de la puissance de l'ESPRIT qui se sait capable de concevoir la répétition indéfinie d'un même acte dès que cet acte est une fois possible. L'esprit a de cette puissance une intuition directe et l'expérience ne peut être pour lui qu'une occasion de s'en servir et par là d'en prendre conscience. […] La puissance de l'esprit n'est limitée que par la nécessité d'éviter toute contradiction ; mais l'esprit n'en use que si l'expérience lui en fournit une raison.
Le continu physique est pour ainsi dire une nébuleuse non résolue, [VS62]. ; c'est l'esprit seul qui peut la résoudre et c'est le continu mathématique qui est la nébuleuse résolue en étoiles.[VS62]
L'espace euclidien n'est pas une forme imposée à notre sensibilité, puisque nous pouvons imaginer l'espace non-euclidien; mais les deux espaces euclidien et non-euclidien ont un FOND COMMUN , c'est ce CONTINUUM AMORPHE dont je parlais au début; de ce continuum nous pouvons tirer soit l'espace euclidien, soit l'espace lobatchewskien, de même que nous pouvons, en y traçant une graduation convenable, transformer un thermomètre non gradué soit en thermomètre Fahrenheit, soit en thermomètre Réaumur. Dans ce CONTINUUM PRIMITIVEMENT AMORPHE on peut imaginer un réseau de lignes et de surfaces, on peut convenir ensuite de regarder les mailles de ce réseau comme égales entre elles, et c'est seulement après cette convention que ce continuum, devenu mesurable, devient l'espace euclidien ou l'espace non-euclidien. De ce CONTINUUM AMORPHE peut donc sortir indifféremment l'un ou l'autre des deux espaces, de même que sur une FEUILLE DE PAPIER BLANC peut tracer indifféremment une droite ou un cercle.[VS 55-56]
I - On a observé qu'un poids A de 10 grammes et un poids B de 11 grammes produisaient des sensations identiques, que le poids B ne pouvait non plus être discerné d'un poids C de 12 grammes, mais que l'on distinguait facilement le poids A du poids C. Les résultats bruts de l'expérience peuvent donc s'exprimer par les relations suivantes : A = B, B = C, A < C , qui peuvent être regardées comme la formule du continu physique [SH51]. Il y a là, avec le principe de contradiction, un désaccord intolérable et c'est la nécessité de le faire cesser qui nous a contraints à inventer le continu mathématique. […] Nous ne pouvons croire que deux quantités égales à une même troisième ne soient pas égales entre elles, et c'est ainsi que nous sommes amenés à supposer que A est différent de B et B de C, mais que l'imperfection de nos sens ne nous avait pas permis de les discerner. [SH51-2]
II - Qu'arrive-t-il maintenant si nous avons recours à quelque instrument pour suppléer à l'infirmité de nos sens, si par exemple nous faisons usage d'un microscope? […] Malgré l'emploi des méthodes les plus perfectionnées, les résultats bruts de notre expérience présenteront toujours les caractères du continu physique avec la contradiction qui y est inhérente.[SH52] Nous n'y échapperons qu'en intercalant sans cesse des termes nouveaux entre les termes déjà discernés, et cette opération devra être poursuivie indéfiniment [SH52] Nous ne pourrions concevoir qu'on dût l'arrêter que si nous nous représentions quelque instrument assez puissant pour décomposer le continu physique en éléments discrets, comme le télescope résout la voie lactée en étoiles. Mais nous ne pouvons nous imaginer cela; en effet, c'est toujours avec nos sens que nous nous servons de nos instruments; c'est avec l'œil que nous observons l'image agrandie par le microscope, et cette image doit, par conséquent, toujours conserver les caractères de la sensation visuelle et par conséquent ceux du continu physique. Rien ne distingue une longueur observée directement de la moitié de cette longueur doublée par le microscope. Le tout est homogène à la partie, c'est là une nouvelle contradiction, ou plutôt c'en serait une si le nombre des termes était supposé fini ; il est clair en effet que la partie contenant moins de termes que le tout ne saurait être semblable au tout.
III - La contradiction cesse dès que le nombre des termes est regardé comme infini; rien n'empêche, par exemple, de considérer l'ensemble des nombres entiers comme semblable à l'ensemble des nombres pairs qui n'en est pourtant qu'une partie; et, en effet, à chaque nombre entier correspond un nombre pair qui en est le double
.Nous n'avons fait encore que le premier pas; nous avons expliqué l'origine des continus de premier ordre; mais il faut voir maintenant pourquoi ils n'ont pu suffire encore et pourquoi il a fallu inventer les nombres incommensurables.
I - Si l'on veut s'imaginer une ligne, ce ne pourra être qu'avec les caractères du continu physique, c'est-à-dire qu' on ne pourra se la représenter qu'avec une certaine largeur.Deux lignes nous apparaîtront alors sous la forme de deux bandes étroites, et si l'on se contente de cette image grossière , il est évident que si les deux lignes se traversent, elles auront une partie commune
II - Mais le géomètre pur fait un effort de plus : sans renoncer tout à fait au secours de ses sens, il veut arriver au concept de la ligne sans largeur, du point sans étendue. Il n'y peut parvenir qu'en regardant la ligne comme la limite vers laquelle tend une bande de plus en plus mince, et le point comme la limite vers laquelle tend une aire de plus en plus petite. Et alors, nos deux bandes, quelque étroites qu'elles soient, auront toujours une aire commune d'autant plus petite qu'elles seront moins larges et dont la limite sera ce que le géomètre pur appelle un point. C'est pourquoi l'on dit que deux lignes qui se traversent ont un point commun et cette vérité paraît intuitive.
Mais elle impliquerait contradiction si l'on concevait les lignes comme des continus du premier ordre, c'est-à-dire si sur les lignes tracées par le géomètre ne devaient se trouver que des points ayant pour coordonnées des nombres rationnels. La contradiction serait manifeste dès qu'on affirmerait par exemple l'existence des droites et des cercles. Il est clair en effet que si les points dont les coordonnées sont commensurables étaient seuls regardés comme réels, le cercle inscrit dans un carré et la diagonale de ce carré ne se couperaient pas , puisque les coordonnées du point d'intersection sont incommensurables.
III - Cela ne serait pas encore assez, car on n'aurait ainsi que certains nombres incommensurables et non pas tous ces nombres. Mais représentons-nous une droite divisée en deux demi-droites. Chacune de ces demi-droites apparaîtra à notre imagination comme une bande d'une certaine largeur; ces bandes EMPIETERONT d'ailleurs l'une sur l'autre, puisqu'entre elles il ne doit pas y avoir d'intervalle. La partie commune nous apparaîtra comme un point qui subsistera toujours quand nous voudrons imaginer nos bandes de plus en plus minces, de sorte que nous admettrons comme une vérité intuitive que si une droite est partagée en deux demi-droites, la frontière commune de ces deux droites est un point; nous reconnaissons là la conception de Kronecker, où un nombre incommensurable était regardé comme la frontière commune de deux classes de nombres rationnels. Telle est l'origine du continu du deuxième ordre, qui est le continu mathématique proprement dit.
En résumé, l'esprit a LA FACULTE DE CREER DES SYMBOLES, et c'est ainsi qu'il a construit le continu mathématique, qui n'est qu'un système particulier de symboles. Sa puissance n'est limitée que par la nécessité d'éviter toute contradiction; mais l'esprit n'en use que si l'expérience lui en fournit une raison.
Dans le cas qui nous occupe, cette raison était la notion du continu physique, tirée des données brutes des sens. Mais cette notion conduit à une série de contradictions dont il faut s'affranchir successivement. C'est ainsi que nous sommes contraints à imaginer un système de symboles de plus en plus compliqué. [...] L’esprit n’use de sa faculté créatrice que quand l’expérience lui en impose la nécessité [SH54]
La possibilité même de la science mathématique semble une contradiction insoluble. Si cette science n'est déductive qu'en apparence, D'OU LUI VIENT CETTE PARFAITE RIGUEUR , que personne ne songe à mettre en doute? Si, au contraire toutes les propositions qu'elle énonce peuvent se tirer les unes des autres par les règles de la logique formelle, comment la mathématique ne se réduit-elle pas à une IMMENSE TAUTOLOGIE?[Piaget] [SH31]
La contradiction nous frappera davantage si nous ouvrons un livre quelconque de mathématiques; à chaque page l'auteur annoncera l'intention de GENERALISER une proposition déjà connue. [SH 32] Le raisonnement par récurrence est le raisonnement mathématique par excellence. Le caractère essentiel du raisonnement par récurrence c'est qu' il contient, condensés pour ainsi dire en une formule unique, une infinité de syllogismes . Ce sont bien entendu des SYLLOGISMES HYPOTHETIQUE[VS 38-39]. […] Et cependant, quelque loin que nous allions ainsi, nous ne nous élèverions jamais jusqu'au théorème GENERAL , applicable à tous les nombres, qui seul peut être objet de science. Pour y arriver, il faudrait une infinité de syllogismes, il faudrait franchir un abîme que la patience de l'analyste, réduit aux seules ressources de la logique formelle, ne parviendra jamais à combler. Dans ce domaine de l'arithmétique [les opérations élémentaires] on peut se croire bien loin de l'analyse infinitésimale, et, cependant, nous venons de le voir, l'idée de l'infini mathématique joue déjà un rôle prépondérant, et sans elle il n'y aurait pas de science parce qu'il n'y aurait rien de GENERAL. […]
Les mathématiciens de l'École de Berlin , M. Kronecker en particulier, se sont préoccupés de construire cette échelle continue des nombres fractionnaires et irrationnels sans se servir d'autres matériaux que du nombre entier. Le continu mathématique serait, dans cette manière de voir, une pure création de l'esprit, où l'expérience n'aurait aucune part. La notion du nombre rationnel ne leur semblant pas présenter de difficulté , ils se sont surtout efforcés de définir le nombre incommensurable.
Mais avant de reproduire ici leur définition, je dois faire une observation, afin
de prévenir l'étonnement qu'elle ne manquerait pas de provoquer chez les lecteurs
peu familiers avec les habitudes des géomètres. Les mathématiciens n'étudient pas des objets, mais des relations entre les objets;
il leur est donc indifférent de remplacer ces objets par d'autres, pourvu que les relations ne changent pas. La matière ne leur importe pas,
la forme seule les intéresse. Si l'on ne s'en souvenait, on ne comprendrait pas que M. Dedekind désigne par le nom
de nombre incommensurable un simple symbole, c'est-à-dire quelque chose de très différent de l'idée que l'on croit
se faire d'une quantité, qui doit être mesurable et presque tangible.[SH49].
M. Dedekind désigne par le nom de nombre incommensurable un simple symbole. […]
Dans la manière de voir de M. Dedekind, le nombre incommensurable "racine de deux" N'EST AUTRE CHOSE QUE LE SYMBOLE
le symbole de ce mode particulier de répartition des nombres commensurables ;
et à chaque mode de répartition correspond ainsi un nombre commensurable ou non, qui lui sert de symbole.
Mais se contenter de cela, ce serait trop oublier l'origine de ces symboles; il reste à expliquer comment
on a été conduit à leur attribuer une sorte d'existence concrète .
D'autre part, la difficulté ne commence-t-elle pas pour les nombres fractionnaires eux-mêmes?
Aurions-nous la notion de ces nombres, si nous ne connaissions d'avance une matière que nous concevons comme
divisible à l'infini , c'est-à-dire comme un continu?
En devenant rigoureuse, la Science mathématique prend un caractère artificiel qui frappera tout le monde; elle oublie ses origines historiques [cf.Chiellini/Alonso/Viola]; on voit comment les questions peuvent se résoudre, on ne voit plus comment et pourquoi elles se posent. Cela nous montre que la logique ne suffit pas ; que la Science de la démonstration n'est pas la Science tout entière et que l'intuition doit conserver son rôle comme complément, j'allais dire comme contrepoids ou comme contrepoison de la logique. J'ai déjà eu l'occasion d'insister sur la place que doit garder l'intuition dans l'enseignement des Sciences mathématiques. Sans elle, les jeunes esprits ne sauraient s'initier à l'intelligence des Mathématiques; ils n'apprendraient pas à les aimer et n'y verraient qu'une vaine logomachie; sans elle surtout, ils ne deviendraient jamais capables de les appliquer.(VS34)
Mais aujourd'hui, c'est avant tout du rôle de l'intuition dans la Science elle-même que je voudrais parler. Si elle est utile à l'étudiant, elle l'est plus encore au savant créateur (VS34). L'Analyse pure met à notre disposition une foule de procédés dont elle nous garantit l'infaillibilité; elle nous ouvre mille chemins différents où nous pouvons nous engager en toute confiance; nous sommes assurés de n'y pas rencontrer d'obstacles; mais, de tous ces chemins, quel est celui qui nous mènera le plus promptement au but? Qui nous dira lequel il faut choisir? Il nous faut une faculté qui nous fasse voir le but de loin, et, cette faculté, c'est l'intuition. Elle est nécessaire à l'explorateur pour choisir sa route, elle ne l'est pas moins à celui qui marche sur ses traces et qui veut savoir pourquoi il l'a choisie. Si vous assistez à une partie d'échecs, il ne vous suffira pas, pour comprendre la partie, de savoir les règles de la marche des pièces. Cela vous permettrait seulement de reconnaître que chaque coup a été joué conformément à ces règles et cet avantage aurait vraiment bien peu de prix. C'est pourtant ce que ferait le lecteur d'un livre de Mathématiques, s'il n'était que logicien. Comprendre la partie, c'est tout autre chose; c'est savoir pourquoi le joueur avance telle pièce plutôt que telle autre qu'il aurait pu faire mouvoir sans violer les règles du jeu. C'est apercevoir la raison intime qui fait de cette série de coups successifs une sorte de tout organisé. [OCDE] A plus forte raison, cette faculté est-elle nécessaire au joueur lui-même, c'est-à-dire à l'inventeur. Laissons là cette comparaison et revenons aux Mathématiques.
Voyons ce qui est arrivé, par exemple pour l'idée de fonction continue.
Au début, ce n'était qu'une image sensible par exemple, celle d'un trait continu tracé à la craie sur un tableau noir. Puis elle s'est épurée peu à peu , bientôt on s'en est servi pour construire un système compliqué d'inégalités, qui reproduisait pour ainsi dire toutes les lignes de l'image primitive; quand cette construction a été terminée, on a décintré, pour ainsi dire, on a rejeté cette représentation grossière qui lui avait momentanément servi d'appui et qui était désormais inutile; il n'est plus resté que la construction elle-même, irréprochable aux yeux du logicien. Et cependant si l'image primitive avait totalement disparu de notre souvenir , comment devinerions-nous par quel caprice toutes ces inégalités se sont échafaudées de cette façon les unes sur les autres ?
Cette vue d'ensemble est nécessaire à l'inventeur; elle est nécessaire également à celui qui veut réellement comprendre l'inventeur. [...]La logique qui peut seule donner la certitude est l'instrument de la démonstration : l'intuition est l'instrument de l'invention.(VS36-37)
Tout en parlant, M. Bertrand est toujours en action; tantôt il semble aux prises avec quelque ennemi exté¬rieur, tantôt il dessine d'un geste de la main les figures qu'il étudie. Évidemment, il voit et il cherche à peindre, c'est pour cela qu'il appelle le geste à son secours. Pour M. Hermite, c'est tout le contraire; ses yeux semblent fuir le contact du monde; ce n'est pas au dehors, c'est au dedans qu'il cherche la vision de la vérité. [...]M. Méray veut démontrer qu'une équation binôme a toujours une racine, ou, en termes vulgaires, qu'on peut toujours subdiviser un angle. S'il est une vérité que nous croyons connaître par intuition directe c'est bien celle-là. Qui doutera qu'un angle peut toujours être partagé en un nombre quelconque de parties égales ? M. Méray n'en juge pas ainsi; à ses yeux, cette propo¬sition n'est nullement évidente et pour la démontrer, il lui faut plusieurs pages. Voyez au contraire M. Klein : il étudie une des ques-tions les plus abstraites de la théorie des fonctions; il s'agit de savoir si sur une surface de Riemann donnée, il existe toujours une fonction admettant des singu¬larités données. Que fait le célèbre géomètre allemand? Il remplace sa surface de Riemann par une surface métallique dont la conductibilité électrique varie suivant certaines lois.[VS29]
Les philosophes font encore une autre objection : « Ce que vous gagnez en rigueur, disent-ils, vous le perdez en objectivité. Vous ne pouvez vous élever vers votre idéal logique qu'en coupant les liens qui vous rattachent à la réalité. Votre Science est impeccable, mais elle ne peut le rester qu'en s'enfermant dans une tour d'ivoire et en s'interdisant tout rapport avec le monde extérieur. Il faudra bien qu'elle en sorte dès qu'elle voudra tenter la moindre application. » Je veux démontrer, par exemple, que telle propriété appartient à tel objet dont la notion me semble d'abord indéfinissable, parce qu'elle est intuitive. J'échoue d'abord ou je dois me contenter de démonstrations par à peu près; je me décide enfin à donner à mon objet une définition précise, ce qui me permet d'établir cette propriété d'une manière irréprochable. « Et après? disent les philosophes, il reste encore à montrer que l'objet qui répond à cette définition est bien le même que l'intuition vous a fait connaître; ou bien encore que tel objet réel et concret dont vous croyiez reconnaître immédiatement la conformité avec votre idée intuitive, répond bien à votre définition nouvelle. C'est alors seulement que vous pourrez affirmer qu'il jouit de la propriété en question. Vous n'avez fait que déplacer la difficulté. » Cela n'est pas exact; on n'a pas déplacé la difficulté, on l'a divisée. La proposition qu'il s'agissait d'établir se composait en réalité de deux vérités différentes, mais que l'on n'avait pas distinguées tout d'abord. La première était une vérité mathématique et elle est maintenant rigoureusement établie. La seconde était une vérité expérimentale. L'expérience seule peut nous apprendre que tel objet réel et concret répond ou ne répond pas à telle définition abstraite. Cette seconde vérité n'est pas démontrée mathématiquement, mais elle ne peut pas l'être, pas plus que ne peuvent l'être les lois empiriques des Sciences physiques et naturelles. Il serait déraison¬nable de demander davantage.Eh bien! n'est-ce pas un grand progrès d'avoir distingué ce qu'on avait longtemps confondu à tort? (VS34)
Deux mondes qui seraient semblables l'un à l'autre (en entendant le mot similitude au sens du 3e livre de géométrie) seraient absolument indiscernables. Mais il y a plus, non seulement des mondes seront indiscernables s'ils sont égaux ou semblables, c'est-à-dire si l'on peut passer de l'un à l'autre en changeant les axes de coordonnées, ou en changeant l'échelle à laquelle sont rapportées les longueurs; mais ils seront encore indiscernables si l'on peut passer de l'un à l'autre par une « transformation ponctuelle » quelconque. Je m'explique. Je supposequ'à chaque point de l'un corresponde un point de l'autre et un seul, et inversement; et de plus que les coordonnées d'un point soient des fonctions continues, d'ailleurs tout à fait quelconques, des coordonnées du point correspondant. Je suppose d'autre part qu'à chaque objet du premier monde, corresponde dans le second un objet de même nature placé précisément au point correspondant. Je suppose enfin que cette correspondance réalisée à l'instant initial, se conserve indéfiniment. Nous n'aurions aucun moyen de discerner ces deux mondes l'un de l'autre. Quand on parle de la relativité de l'espace, on ne l'entend pas d'ordinaire dans un sens aussi large; c'est ainsi cependant qu'il conviendrait de l'entendre.
Si l'un de ces univers est notre monde euclidien, ce que ses habitants appelleront droite, ce sera notre droite euclidienne; mais ce que les habitants du second monde appelleront droite, ce sera une courbe qui jouira des mêmes propriétés par rapport au monde qu'ils habitent et par rapport aux mouvements qu'ils appelleront mouvements sans déformation; leur géométrie sera donc la géométrie euclidienne, mais leur droite ne sera pas notre droite euclidienne. Ce sera sa transformée par la transformation ponctuelle qui fait passer de notre monde au leur; les droites de ces hommes ne seront pas nos droites, mais elles auront entre elles les mêmes rapports que nos droites entre elles, c'est dans ce sens que je dis que leur géométrie sera la nôtre. Si alors nous voulons à toute force proclamer qu'ils se trompent, que leur droite n'est pas la vraie droite, si nous ne voulons pas confesser qu'une pareille affirmation n'a aucun sens, du moins devrons-nous avouer que ces gens n'ont aucune espèce de moyen de s'apercevoir de leur erreur.
En somme, le système d'axes de coordonnées auxquels nous rapportons naturellement tous les objets extérieurs, c'est un système d'axes invariablement lié à notre corps et que nous transportons partout avec nous. Il est impossible de se représenter l'espace absolu; quand je veux me représenter simultanément des objets et moi-même en mouvement dans l'espace absolu, en réalité je me représente moi-même immobile et regardant se mouvoir autour de moi divers objets et un homme qui est extérieur à moi, mais que je conviens d'appeler moi [VS67]
Autre remarque : je viens de dire que c'est à notre propre corps que nous rapportons naturellement les objets extérieurs; que nous transportons pour ainsi dire partout avec nous un système d'axes auxquels nous rapportons tous les points de l'espace, et que ce système d'axes est comme invariablement lié à notre corps. On doit observer que rigoureusement l'on ne pourrait parler d'axes invariablement liée au corps que si les diverses parties de ce corps étaient elles-mêmes invariablement liées l'une à l'autre Comme il n'en est pas ainsi, nous devons, avant de rapporter les objets extérieurs à ces axes fictifs, supposer notre corps ramené à la même attitude [VS68].
Donner aux côtés des triangles rectilignes le nom de droites, c'est adopter la géométrie euclidienne; donner aux côtés des triangles curvilignes des derniers le nom de droites, c'est adopter la géométrie non-euclidienne. De sorte que, demander quelle géométrie convient-il d'adopter, c est demander : à quelle ligne convient-il de donner le nom de droite? Il est évident que l'expérience ne peut résoudre une pareille question; on ne demanderait pas, par exemple à l'expérience de décider si je dois appeler une droite AB ou bien CD. D'un autre côté, je ne puis dire non plus que je n'ai pas le droit de donner le nom de droites aux côtés des triangles non-euclidiens, parce qu'ils ne sont pas conformes à l'idée éternelle de droite que je possède par intuition. Je veux bien que j'aie l'idée intuitive du côté du triangle euclidien, mais j'ai également l'idée intuitive du côté du triangle non-euclidien. Pourquoi aurai-je le droit d'appliquer le nom de droite à la première de ces idées et pas à la seconde? En quoi ces deux syllabes feraient-elles partie intégrante de cette idée intuitive? Évidemment quand nous disons que la droite euclidienne est une vraie droite et que la droite non-euclidienne n'est pas une vraie droite, nous voulons dire tout simplement que la première idée intuitive correspond à un objet plus remarquable que la seconde. Mais comment jugeons-nous que cet objet est plus remarquable? [Poincaré VS 55-56]
I - L'ordre dans lequel nous rangeons les phénomènes conscients ne comporte aucun arbitraire. Il nous est imposé et nous n'y pouvons rien changer. Non seulement nous distinguons sans peine la sensation présente du souvenir des sensations passées ou de la prévision des sensations futures; mais nous savons parfaitement ce que nous voulons dire quand nous affirmons que, de deux phénomènes conscients dont nous avons conservé le souvenir, l'un a été antérieur à l'autre; ou bien que, de deux phénomènes conscients prévus, l'un sera antérieur à l'autre. Quand nous disons que deux faits conscients sont simultanés, nous voulons dire qu'ils se pénètrent profondément l'un l'autre, de telle sorte que l'analyse ne peut les séparer sans les mutiler [SH41].
II - Pour qu'un ensemble de sensations soit devenu un souvenir susceptible d'être classé dans le temps , il faut qu'il ait cessé d'être actuel , que nous ayons perdu le sens de son infinie complexité, sans quoi il serait resté actuel. Il faut qu'il ait pour ainsi dire cristallisé autour d'un centre d'associations d'idées qui sera comme une sorte d'étiquette. Ce n'est que quand ils auront ainsi perdu toute vie que nous pourrons classer nos souvenirs dans le temps, comme un botaniste range dans son herbier les fleurs desséchées. Mais ces étiquettes ne peuvent être qu'en nombre fini . A ce compte, le temps psychologique serait discontinu. D'où vient ce sentiment qu'entre deux instants quelconques il y a d'autres instants? Nous classons nos souvenirs dans le temps, mais nous savons qu'il reste des cases vides. Comment cela se pourrait-il si le temps n'était une forme préexistant dans notre esprit? Comment saurions-nous qu'il y a des cases vides, si ces cases ne nous étaient révélées que par leur contenu?
III - Voilà deux consciences qui sont comme deux mondes impénétrables l'un à l'autre . De quel droit voulons nous les faire entrer dans un même moule, les mesurer avec la même toise? N'est-ce pas comme si l'on voulait mesurer avec un gramme ou peser avec un mètre? [VS43] Deux phénomènes psychologiques se passent dans deux consciences différentes ; quand je dis qu'ils sont simultanés, qu'est-ce que je veux dire? [Proust] Quand je dis qu'un phénomène physique, qui se passe en dehors de toute conscience est antérieur ou postérieur à un phénomène psychologique, qu'est-ce que je veux dire? [...] Il suffit d'un peu de réflexion pour comprendre que toutes ces affirmations n'ont par elles-mêmes AUCUN SENS.
IV - Nous voulons au moins que l'on puisse concevoir une intelligence infinie pour laquelle cette représentation serait possible, une sorte de grande conscience qui verrait tout, et qui classerait tout dans son temps, comme nous classons, dans notre temps, le peu que nous voyons. Cette hypothèse est bien grossière et incomplète; car cette intelligence suprême ne serait qu'un demi-dieu; infinie en un sens, elle serait limitée en un autre, puisqu'elle n'aurait du passé qu'un souvenir imparfait; et elle n'en pourrait avoir d'autre, puisque sans cela tous les souvenirs lui seraient également présents et qu'il n'y aurait pas de temps pour elle. […] Ce que je viens de dire nous montre peut-être pourquoi nous avons cherché à faire rentrer tous les phénomènes physiques dans un même cadre. Mais cela ne peut passer pour une définition de la simultanéité, puisque cette INTELLIGENCE HYPOTHETIQUE, si même elle existait, serait impénétrable pour nous.[VS49]
Henri POINCARE - Pour mesurer le temps, les physiciens se servent du pendule […] et ils admettent par définition que tous les battements de ce pendule sont d' égale durée . Mais ce n'est là qu'une première approximation; la température, la résistance de l'air, la pression barométrique font varier la marche du pendule. […] En fait, les meilleures horloges doivent être corrigées de temps en temps, et les corrections se font à l'aide des observations astronomiques; […] c'est le jour sidéral, c'est-à-dire la durée de rotation de la terre, qui est l'unité constante du temps. On admet, par une définition nouvelle substituée à celle qui est tirée des battements du pendule, que deux rotations complètes de la terre autour de son axe ont même durée. Cependant les astronomes ne se sont pas contentés encore de cette définition. Beaucoup d'entre eux pensent que les marées agissent comme un frein sur notre globe…
Quand nous nous servons du pendule pour mesurer le temps , quel est le postulat que nous admettons implicitement ? C'est que la durée de deux phénomènes identiques est la même; ou, si l'on aime mieux, que les mêmes causes mènent le même temps à produire les mêmes effets. [...] Quand je dis, de midi à une heure, il s'est écoulé le MÊME TEMPS que de deux heures à trois heures, QUEL SENS A CETTE AFFIRMATION ? Elle N'EN A AUCUN PAR ELLE MÊME. [...] Tout cela importe peu, dira-t-on, sans doute nos instruments de mesure sont imparfaits, mais il suffit que nous puissions CONCEVOIR un instrument parfait. Cet idéal ne pourra être atteint, mais ce sera assez de l'avoir conçu et d'avoir ainsi mis la rigueur dans la définition de l'unité de temps. Le malheur est que cette rigueur ne s'y rencontre pas. [VS44]" La fronde de Foucault - Galileo […]
Albert EINSTEIN - Je suppose que la foudre ait frappé la voie de notre chemin de fer en deux points A et B très distant l'un de l'autre, et j'affirme que ces deux éclairs ont été "simultanés". Si maintenant je vous demande , cher lecteur, SI CETTE AFFIRMATION A UN SENS vous me repondez avec conviction "oui". Mai si j'insiste et je vous prie de m'expliquer le sens de cette affirmation, vos constatez après quelque reflexion que la reponse à cette question n'est pas simple qu'elle paraît au premier abord.[...] La notion de "simultanéité" n'existe pour le physicien que s'il a trouvé la possibilité de vérifier, dans le cas concret, si elle ou si elle est, ou si elle n'est pas exacte. Nous avons donc besoin d'une définition telle de la simultanéité qu'elle nous donne une méthode au moyen de laquelle nous pouvons décider, dans le cas qui nous occupe, pas des expériences, si les deux coups de foudre ont été simultanés ou non. Tant que cette expérience n'est pas satisfaite je suis COMME PHYSICIEN , et AUSSI COMME NON PHYSICIEN, victime d'une illusion SI JE CROIS POUVOIR ATTACHER UN SENS à l'affirmation de la simultanéité . [Einstein 1917 : 24-25]
Karl POPPER - «Les distances, dans l'univers, sont énormes. L'action à distance signifierait que les effets gravitationnels sont, comme Dieu Lui-même, omniprésents dans le cosmos. Comme plus tard Einstein, Newton se refuse à considérer l'action à distance comme une propriété de la mécanique de la nature. Sensible à son mystère, il l'attribue à Dieu. La théorie einsteinienne va résoudre ce problème, semble-t-il, en posant que les perturbations gravitationnelles se propagent à la vitesse de la lumière. Cette solution est très satisfaisante pour l'esprit, en particulier du point de vue où nous nous placions dans la section 15 : elle permet d'entrevoir l'unification éventuelle des théories de la lumière et de la gravitation, et elle le fait en interprétant la lumière et les perturbations gravitationnelles à partir de propriétés structurales – propriétés de champ – de l'univers, de notre monde. Et pourtant, nous sommes toujours confrontés au problème de Newton. Qu'en est-il, en effet, de ces propriétés structurales elles-mêmes ? Elles sont croyons-nous, identiques en tous lieux et en tous temps. Comment devons-nous comprendre cette homogénéité ? Lorsque nous parlons des propriétés structurales de notre univers, nous parlons de cet univers, au moins métaphoriquement, comme s'il s'agissait d'une chose, telle qu'un cristal, un ballon, voire une machine. Mais selon les théories physiques actuelles, les propriétés structurales d'un cristal, d'un ballon ou d'une machine sont dues aux interactions entre leurs parties constituantes I et ces interactions ont lieu à des vitesses finies, jusques et y compris celle de la lumière. Ce sont ces interactions qui maintiennent la forme du cristal, déterminent la pression du gaz dans le ballon et empêchent la machine de se décomposer. Or les propriétés structurales du cosmos que nous décrivons sous forme de lois de la matière ne sauraient être comprises de cette façon. Elles ne peuvent semble-t-il, s'expliquer par des interactions, puisqu'elles sont le fondement de toute interaction. Elles sont – c'est leur caractéristique la plus profonde – identiques d'un bout à l'autre de l'univers, en tous lieux et à tout instant : elles sont omniprésentes. Nous retrouvons ainsi le problème de Newton. [...] Il est bien utile, à ce stade, d'avoir renoncé à la théorie essentialiste de l'explication ultime. Au surplus, c'est le moment de nous rappeler que nous ne devons pas nous laisser prendre à nos propres métaphores – qu'en disant “la structure du monde” nous avions simplement recours à une métaphore destinée à nous aider à imaginer ce que décrivent les lois ; que quelque part, nécessairement, la métaphore ne tiendrait plus - et que c'est déjà un résultat fort satisfaisant d'avoir trouvé où elle cesse de tenir. » [Ibid.] Je ne saurais conclure cette analyse du réalisme métaphysique sans faire au moins allusion aux difficultés d'une telle position. Ces difficultés sont grandes. Elles me paraissent poser des problèmes insolubles. Mais elles sont d'une nature telle qu'elles n'affectent pas le moins du monde ma foi réaliste. Elles se situent, pour ainsi dire, sur un autre plan que celui des problèmes et des arguments sur lesquels je m'appuie pour défendre cette foi. On est là dans un domaine peut être moins rationnel - les arguments s'y font plus vagues et moins faciles à traiter. » [Karl R.Popper, Post Scriptum à la Logique de la découverte scientifique]
Si la science du nombre était purement analytique ou pouvait sortir analytiquement d'un petit nombre de jugements synthétiques, il semble qu' un esprit assez puissant pourrait d'un seul coup d'œil en apercevoir toutes les vérités [cf.Galileo et Piaget][...] Si l'on se refuse à admettre ces conséquences il faut bien concéder que le raisonnement mathématique a par lui-même une sorte de vertu créatrice et par conséquent qu'il se distingue du syllogisme.
Je demandais au début pourquoi on ne saurait concevoir un esprit assez puissant pour apercevoir d'un seul coup d'œil l'ensemble des vérités mathématiques . La réponse est aisée maintenant; un joueur d'échecs peut combiner quatre coups, cinq coups d'avance, mais, si extraordinaire qu'on le suppose, il n'en préparera jamais qu'un nombre fini; s'il applique ses facultés à l'arithmétique, il ne pourra en apercevoir les vérités générales d'une seule intuition directe; pour parvenir au plus petit théorème, il ne pourra s'affranchir de l'aide du raisonnement par récurrence parce que c'est un instrument qui permet de passer du fini à l'infini
Toutes ces définitions sont construites en partant uniquement de ce fait très simple, que deux ensembles d'impressions, tantôt peuvent être discernés, tantôt ne peuvent pas l'être.
I Soit un continu C et deux éléments discernables A et B à son intérieur. Nous pourrons trouver une série S d'éléments E1, E2,…….,En appartenant tous à ce même continu C et tels que A et B soient les deux termes extrêmes de cette suite et chacun d'eux soit indiscernable du précédent : que E1 est indiscernable de A et En indiscernable de B. On pourra donc aller de A à B par un chemin continu et sans quitter C. Si l'on peut trouver une pareille suite S, nous dirons que A et B sont reliés entre eux Si cette condition est remplie pour deux éléments quelconques A et B du continu C, nous pourrons dire que ce continu C est d'un seul tenant.[VS62]
II-Choisissons maintenant sur le continu C un certain nombre d'éléments d'une manière tout à fait arbitraire, qui pourront ou bien être tous discernables les uns des autres, ou former eux-mêmes un ou plusieurs continus. L'ensemble des éléments ainsi choisis arbitrairement parmi tous ceux de C formera ce que j'appel¬lerai la ou les coupures.
III- Or reprenons sur C deux éléments quelconques A et B. Parmi les suites S qui relient A à B : Ou bien nous pourrons encore trouver une suite S E1, E2,…….,En 1° tels qu’ ils appartiennent tous à C; 2° que chacun d'eux soit indiscernable du suivant; E1 indiscernable de A et En de B; 3° et en outre que tous les éléments E soient discernables de tous les éléments de la coupure. Dans ce cas, nous pouvons aller de A à B par un chemin continu sans quitter C et sans rencontrer les coupures. Ou bien au contraire dans toutes les séries E1, E2,……,En satisfaisant aux deux premières conditions, il y aura un élément E indiscernable de l'un des éléments de la coupure (nous dirons que ce sont le séries qui coupent la coupure). Dans ce second cas cela est impossible d’aller de A à B par un chemin continu sans quitter C et sans rencontrer les coupures.
Parmi les suites S qui relient A à B, nous distinguerons celles dont un élément est indiscernable d'un des éléments de la coupure (nous dirons que ce sont celles qui coupent la coupure) et celles dont tous les éléments sont discernables de tous ceux de la coupure. Si toutes les suites S qui relient A à B coupent la coupure, nous dirons que A et B sont séparés par la coupure, et que la coupure divise C. Si on ne peut pas trouver sur C deux éléments qui soient séparés par la coupure, nous dirons que la coupure ne divise pas C.
IV Si alors pour deux éléments quelconques A et B du continu C, c'est toujours le premier cas qui se présente, nous dirons que C reste d'un seul tenant malgré les coupures. Ainsi si nous choisissons les coupures d'une certaine manière, d'ailleurs arbitraire, il pourra se faire ou bien que le continu reste d'un seul tenant ou qu'il ne reste pas d'un seul tenant; dans cette dernière hypothèse nous dirons alors qu'il est divisé par les coupures.
On remarquera que toutes ces définitions sont cons-truites en partant uniquement de ce fait très simple, que deux ensembles d'impressions, tantôt peuvent être discernés, tantôt ne peuvent pas l'être
.Cette définition ne s'applique pas seulement à l'espace, que dans tout ce qui tombe sous nos sens, nous retrouvons les caractères du continu physique, ce qui permettrait la même classification; il serait aisé d'y trouver des exemples de continus de quatre, de cinq dimensions, au sens de la définition précédente; ces exemples se présentent d'eux-mêmes à l'esprit [VS64]